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Interview de Stéphane TRÉBUCQ
  • Stéphane TRÉBUCQ Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Directeur Scientifique de la Chaire Capital Humain de la Fondation Bordeaux Université, Responsable de la mention management
Posté le 9 juin 2020 dans Regards extérieurs

Benjamin LE FUSTEC : Bonjour Stéphane TRÉBUCQ, pour nos lecteurs, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Stéphane TRÉBUCQ : Actuellement je suis Professeur à l’Université de Bordeaux rattaché à une école de management qui s’appelle l’Institut d’Administration des Entreprises. Je m’occupe par ailleurs d’une chaire intitulée Capital Humain et performance globale et avec un centre d’intérêt effectivement sur plus particulièrement la thématique du capital humain et plus globalement celle du développement durable dans les organisations, ce qui peut aussi s’exprimer sous le terme de Responsabilité Sociétale d’Entreprise.


BLF : Vous êtes donc professeur de sciences de gestion, que sont les Sciences de gestion ?

ST : Le terme de science est déjà un peu discuté. La gestion est un ensemble de techniques qui permettent de prendre en charge un certain nombre de fonctions dans l’entreprise. C’est le cas par exemple du marketing, de la production, de la gestion financière et de la gestion des ressources humaines. L’ensemble de ces techniques s’appuie sur des concepts et des théories qui nécessitent effectivement de développer de nouvelles connaissances pour améliorer au fond la performance des organisations. Les sciences de gestion sont tournées vers la performance, tournées vers une amélioration, non pas seulement de la rentabilité, mais la performance sociale et la performance environnementale. C’est pour cela que, de plus en plus, on va parler de performance durable ou de performance globale dans les entreprises. La gestion peut aussi s’appliquer à des domaines associatifs et même publics. On voit cette branche là aussi se développer de plus en plus.


BLF : Pour en venir au sujet qui nous occupe. On connaît le concept de résilience, un autre moins connu est celui de la résilience organisationnelle. Pourriez-vous nous en définir les contours ?

ST : Je dois dire que c’est une thématique qui est assez intéressante parce qu’elle est un peu, pour la qualifier, orthogonale par rapport à la notion de performance dont je parlais juste avant. Cette notion de résilience est récente. Elle a commencé au niveau des individus avec les travaux de Boris CYRULNIK, elle a été étendue assez récemment maintenant aux organisations. C’est la capacité au fond, d’une organisation à dépasser une crise, à se sortir d’une période de crise. On n’est pas très loin du management des risques mais la résilience c’est faire face à des catastrophes. Donc quand on subit une catastrophe, la question c’est comment peut-on s’en sortir et quels sont les dispositifs qui sont mis en place pour se rétablir rapidement ? Rétablir les conditions de pérennité et de durabilité au sens écologique du terme également, d’une entreprise dans l’ensemble de ses contributions qu’elle a par rapport à la société. Cette résilience, évidemment, s’applique aux entreprises mais aussi à tout type d’organisation. Elle implique de mettre en place des dispositifs de gestion. L’un des plus connu, c’est le plan de continuité d’activité, les PCA. Mais ça nécessite d’avoir une vision plus globale et pas seulement procédurale. Il s’agit d’avoir une réflexion à la fois technique et philosophique. On sait par exemple que certaines techniques ou styles de management entrainent plus d’engagement et d’implication du personnel que d’autres. Il ne faut donc pas se limiter à une vision trop techniciste du sujet de la résilience. Il faudra déterminer aussi, si dans le cadre du changement de certains paramètres dans l’environnement, les entités réussissent à maintenir leur performance. La résilience en fait c’est donc cette capacité à maintenir, en dépit des changements de cet environnement, les conditions de performance de l’organisation.


BLF : En quoi pourriez-vous dire que les établissements et services sociaux et médico-sociaux pourraient être intéressés par ce concept ?

ST : Et bien on l’a vu avec la crise récente du COVID-19, quand on subit de plein fouet un choc sanitaire à l’échelon national et international, à l’échelon locale on est confronté à un certain nombre de difficultés. Il faut préserver la santé des patients ou des résidents mais il faut également préserver la capacité des établissements à assurer l’entrée des futurs pensionnaires. Il faut également préserver la santé du personnel qui peut rapidement s’épuiser en période de crise. Donc là aussi, c’est tout l’équilibre de l’entité et du système dans sa globalité qu’il faut préserver. À tous les niveaux, encadrement compris, en gérant les difficultés psychologiques pour toutes ces personnes.


BLF : Quels conseils pourriez-vous donner à ces établissements et services pour mettre en place les conditions de résilience ?

ST : Il est peut-être un peu tôt pour donner des conseils mais ce que l’on sait aujourd’hui c’est qu’il existe un certain nombre de modèle de diagnostic de la résilience des organisations qui ont été développé, notamment par l’association CIRERO1. Donc on peut faire appel à des personnes extérieures qui vont diagnostiquer la capacité de résilience des organisations, ce qui débouchera sur un plan d’action. Un autre élément est de développer dans les prochains mois un certain nombre de recherches qui permettent de comprendre les raisons pour lesquelles certains établissements se sont révélés être plus résilients que d’autres. Par conséquent, toute la problématique de recherche serait de mieux identifier les facteurs qui ont pu entrainer cette meilleure résilience qui peuvent se situer à différents niveaux. Je pense que le conseil qu’on peut donner pour accroître la capacité de résilience c’est premièrement d’être accompagné. C’est difficile de transformer des méthodes de management de l’intérieur uniquement en lisant des sources externes et en essayant de les appliquer. Et deuxièmement, c’est réfléchir post COVID-19 pour voir dans quelles mesures l’organisation est en capacité de se lancer dans un processus d’apprentissage organisationnel avec ses points forts et ses point faibles. Un autre élément est la mobilisation de l’ensemble des équipes en co-construction. Il ne faut pas que ce soit une seule personne qui s’occupe de ce sujet en interne.


BLF : Merci c’est passionnant, on arrive au terme de cette interview, quelques mots pour la fin ?

ST : Je dirais que c’est un sujet qui prendra une importance croissante dans les mois et années qui viennent. La seule question c’est de savoir, est-ce que cette crise sera considérée comme exceptionnelle et n’amènera pas d’enseignements particuliers ou bien on considère que bien qu’exceptionnel il faudra se préparer à d’autres catastrophes de cette nature et prendre toutes les dispositions à l’avance. La difficulté sera de concilier des actions locales avec des actions à un échelon plus globale, plus centralisé, plus national avec peut-être effectivement des réglementations et des appuis des organismes comme l’AFNOR pour renforcer les capacités de résilience des organisations. C’est une œuvre d’un collectif au sein d’un EHPAD par exemple, mais aussi en inter-établissement. Il faut bien sûr le soutien ministériel, celui de la santé pour accompagner les établissements sur ce chemin. Cela nécessite donc une volonté en quelque sorte politique et pas simplement que locale et organisationnelle.


BLF : C’est ce que l’on souhaite. Merci beaucoup Stéphane TRÉBUCQ.

ST : Merci à vous.

NOTE

1 CIRERO : Centre d’Investigation et de Recherche en Résilience des Organisations : www.resilience-organisationnelle.com