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Publication d’une situation éthique de terrain
Posté le 17 septembre 2025 dans Dossiers

Préambule

Depuis 2021, ReSanté-Vous s’est doté d’un comité éthique, convaincu que la réflexion éthique doit s’enraciner dans la réalité concrète du terrain. Notre démarche n’a pas pour vocation de fournir des réponses toutes faites, mais d’ouvrir des espaces de pensée et de dialogue pour les équipes qui accompagnent les personnes âgées.

Pour la première fois, nous avons choisi de rendre publiques certaines de nos réflexions et recommandations. Elles sont destinées aux professionnels d’EHPAD, de services à domicile et, plus largement, à tous ceux qui œuvrent chaque jour auprès des aînés. Notre objectif est d’apporter un éclairage utile, une prise de recul, et de nourrir des pratiques toujours plus respectueuses et humaines.

La situation étudiée

Le comité s’est penché sur une scène courante, mais révélatrice : lors d’une réunion de transmission, une soignante intérimaire partage un échange riche avec une résidente. Un autre professionnel interrompt ce récit pour rapporter un épisode du passé de cette résidente, le présentant de manière négative et jugée. Cette remarque a profondément modifié le regard porté par l’équipe sur la résidente, créant une distance dans la relation d’accompagnement.

Cet exemple interroge : comment certaines informations circulent-elles ? Quelle est leur fiabilité ? Quelles conséquences ont-elles sur la relation de soin ? Jusqu’où peut-on aller dans la collecte d’éléments de vie privée ? Et comment éviter que le jugement personnel vienne altérer la qualité d’une relation professionnelle ?

Les dilemmes éthiques soulevés

Cette situation met en lumière plusieurs tensions qui traversent le quotidien des accompagnants :

  • Confidentialité vs Transparence : comment partager ce qui est utile au soin sans violer l’intimité de la personne ?
  • Individualisation vs Intrusion : comment personnaliser l’accompagnement sans franchir la limite du respect de la vie privée ?
  • Jugement vs Bienveillance : comment éviter que des propos ou des souvenirs influencent négativement le regard porté sur un résident ?
  • Expression vs Régulation : jusqu’où permettre aux soignants de s’exprimer librement, et quand faut-il intervenir pour protéger le climat collectif ?
  • Formation initiale vs Formation continue : comment renforcer la culture éthique des équipes au quotidien, au-delà des apprentissages de base ?

Ces dilemmes sont féconds : ils rappellent que l’éthique n’est pas une science exacte, mais un art de naviguer entre des principes légitimes parfois contradictoires.

Les enseignements du comité

L’approche de la pensée complexe (E. Morin) nous aide à comprendre que chaque décision influence l’ensemble du système : résidents, familles, professionnels, institutions. L’éthique ne peut donc pas être réduite à une règle : elle exige de tenir ensemble les contradictions, d’accepter l’incertitude et de travailler dans la nuance.

Ainsi, l’histoire rapportée n’est pas un simple fait anodin : elle illustre comment une parole peut transformer un regard, une relation, voire une trajectoire de soins. L’éthique de terrain consiste justement à s’arrêter sur ces instants pour les comprendre et en tirer des repères d’action.

Les recommandations du comité

À partir de cette situation, plusieurs recommandations ont été formulées :

  1. Favoriser le dialogue et la relation humaine
    • Offrir des espaces d’expression sécurisés pour les professionnels (transmissions, régulation par un référent).
    • Encourager des temps d’échange privilégiés avec les résidents, centrés sur leurs choix et leur expérience, dans une approche non jugeante.
  2. Respecter la confidentialité et distinguer les types d’informations
    • Différencier ce qui relève de l’intime de ce qui peut être partagé pour améliorer l’accompagnement.
    • Demander le consentement du résident lorsque cela est possible.
    • Bannir les informations dont la véracité n’est pas établie.
  3. Sensibiliser et former l’ensemble du personnel
    • Renforcer la culture éthique dans toutes les fonctions (soins, animation, hôtellerie, administration).
    • Travailler sur le poids des mots, la gestion des confidences et le secret partagé.
    • Utiliser des études de cas et mises en situation.
  4. Réguler les échanges professionnels
    • Former les encadrants au rôle de « régulateur » pour interrompre les discussions intrusives ou stigmatisantes.
    • Développer une culture d’écoute et de respect mutuel.
  5. Placer l’éthique au cœur du projet de vie personnalisé (PVI)
    • Associer le résident à la construction et à la mise à jour de son PVI.
    • Limiter la collecte aux éléments utiles à l’accompagnement.
    • Valoriser les récits positifs et constructifs.

Conclusion

Cette réflexion illustre la richesse mais aussi la difficulté d’une éthique du quotidien : chaque mot, chaque information, chaque attitude peut renforcer ou fragiliser le lien entre un résident et son entourage professionnel.

En partageant ces travaux, nous souhaitons donner à voir l’utilité concrète d’un comité éthique : il n’apporte pas des solutions toutes faites, mais il offre un cadre de pensée et de dialogue pour aider les équipes à prendre de la hauteur.

Notre conviction est simple : l’éthique de terrain est une ressource vivante, indispensable pour préserver la dignité des résidents, renforcer la confiance des familles et soutenir les professionnels dans leurs missions.