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Ergothérapeute et Psychomotricien : Concurrence ou complémentarité en EHPAD ?
  • Myriam POCHART Psychomotricienne, Responsable Pédagogique de ReSanté-Vous Formation
  • Florine CARRERE Ergothérapeute à ReSanté-Vous depuis 2015
Posté le 29 mai 2015 dans Articles

(article mis à jour le 14 janvier 2021)

Chaque professionnel de santé a ses spécificités tout en étant complémentaires. En gériatrie, l’ergothérapie et la psychomotricité sont deux professions qui visent un objectif commun : la préservation de l’autonomie et le « bien vieillir ». Toutefois ces professions sont encore mal connues tant pour des directeurs d’établissement, les infirmières ou même pour tous les auxiliaires de soins. Afin d’éclaircir leurs champs de compétences de façon pragmatique nous allons les définir, puis expliciter la collaboration au travers de cas cliniques sur des situations d’accompagnement au repas.

1°) Définir pour mieux comprendre

L’ergothérapeute est un professionnel de santé, rééducateur, diplômé d’état, qui fonde sa pratique sur le lien entre l’activité humaine et la santé. Son objectif est de maintenir, restaurer et permettre les activités humaines de manière sécurisée, autonome et efficace. Il prévient, réduit ou supprime les situations de handicap en tenant compte des habitudes de vie des personnes et de leur environnement. Ce professionnel est donc un intermédiaire entre les besoins d’adaptation de la personne et les exigences de la vie quotidienne en société.

Le psychomotricien est un professionnel de santé, rééducateur, diplômé d’état, qui accompagne les personnes, souffrant de difficultés psychologiques s’exprimant par le corps, en agissant sur leurs fonctions psychomotrices grâce à des médiations corporelles. Ce spécialiste évalue les capacités psychomotrices et recherche l’origine des difficultés. Il contribue ainsi à la réhabilitation et à la réinsertion psychosociale de la personne et l’accompagne, ainsi que son entourage, autour d’un projet thérapeutique. Chaque séance vise à réconcilier la personne âgée avec son corps afin trouver ou retrouver un équilibre psychocorporel.

En somme, le travail du psychomotricien est axé sur le vécu psychocorporel alors que l’ergothérapeute sur l’adaptation de l’environnement selon des compétences motrices et cognitives. Dès lors, les modalités de prises en soin sur un même temps seront différentes mais complémentaires. Voici des exemples concrets sur des temps d’accompagnement au repas.

2°) L’accompagnement aux repas

Nous avons choisi de prendre des exemples autour du repas. Notre objectif est similaire : maintenir l’autonomie de la personne âgée. Toutefois, nos axes de réflexions et donc nos approches sont distinctes.

EXEMPLE 1 : Monsieur TR.

M. TR est un homme âgé de 78 ans, il présente une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et d’un trouble neurocognitif de type Alzheimer. Il est entré en établissement au sein d’une unité de vie en 2014.
 

Ergothérapeute

Évaluation :
Observation sur le temps du repas : les praxies (=gestes) sont fonctionnelles et les gnosies sont bonnes (=reconnaissance des objets). Le trouble visuel nécessite un fort contraste des couverts et ustensiles pour favoriser son indépendance.

Interventions :
Mise en place de couverts et ustensiles à fort contraste pour optimiser la visibilité malgré la DMLA.

Transmissions aux équipes :
Positionner les éléments toujours aux mêmes endroits afin d’instaurer des repères fixes et maintenir son autonomie.

Psychomotricien

Évaluation :
Les compétences motrices sont bonnes. Les compétences cognitives sont correctes. Les comportements perturbateurs sont causés par la conscience de ses troubles sensoriels et leurs non acceptations. Les difficultés lors des repas sont causées par la DMLA.

Interventions sur 2 axes :
– Séance en individuel afin de travailler sur la conscience corporelle, l’équilibre psycho-corporel et la confiance en soi.
– Repas thérapeutique : travail axé sur la sphère psychoaffective car M. TR. a des difficultés à investir le matériel proposé par l’ergothérapeute.

Transmissions aux équipes :
Travail avec l’équipe sur l’accompagnement de la sphère sociale.

Suivi des préconisations :
Préconisations respectées au quotidien qui favorisent l’autonomie et l’indépendance de M. nécessite parfois une guidance verbale pour des réajustements mineurs.

EXEMPLE 2 : Madame TA.

Mme TA. est une dame âgée de 100 ans. Elle est entrée en EHPAD en janvier 2009 suite à un Accident Ischémique Transitoire (AIT). Depuis son entrée, Mme TA. a perdu certaines capacités notamment sensoriel. À ce jour, elle présente une cécité et une surdité bilatérales, et a développé un sens du toucher en compensation de ces troubles. Madame est dépendante pour l’ensemble des actes la vie quotidienne.

Ergothérapeute

Évaluation :
Les gestes et les préhensions sont fonctionnels. La perte d’autonomie est liée aux troubles sensoriels. Les pertes progressives des sens induisent un repli.

Interventions :
Accompagnement lors des repas afin de développer son sens tactile et de mettre en place un accompagnement spécifique de guidance afin qu’elle puisse maintenir une forme d’autonomie.

Transmissions aux équipes :
Accompagnement et préconisation aux équipes sur le type d’accompagnement spécifique : guidance gestuelle avec mains sur le bras où une pression lui signifie qu’elle peut amener le couvert à la bouche.

Psychomotricien

Évaluation :
Madame a de bonnes compétences motrices et cognitives. Toutefois, elles sont entravées par ses affects négatifs qu’elle a envers elle-même à cause de ses troubles sensoriels.

Interventions :
Séance en individuelle hors des temps de repas autour de ses compétences motrices afin de la valoriser et qu’elle reprenne confiance en elle.

Transmissions aux équipes :
Stimuler Madame afin qu’elle puisse faire seule et la valoriser sans l’infantiliser.

Suivi des préconisations :
Difficulté de compréhension par l’équipe soignante des troubles sensoriels de Mme limitant l’investissement et l’utilisation des préconisations. Projet de sensibilisation aux troubles sensoriels pour les soignants.

EXEMPLE 3 : Madame A.

Mme A. est âgée de 80 ans, elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plus de 10 ans. Elle est rentrée en établissement au sein d’une unité de vie protégée. Après quelques années aux seins de l’unité, l’évolution de la maladie a induit des troubles de la communication car elle ne parle que sa langue maternelle.

Ergothérapeute

Évaluation :
Bonne perception (gnosie) et gestualité des éléments de la table mais difficultés d’utilisation par une mauvaise orientation du couvert (trouble praxique)

Accompagnement :
Essai de différents couverts mais pas de différence majeure au niveau de l’orientation.

Transmissions aux équipes :
Accompagner le geste main/bouche avec une bonne orientation du couvert et effectuer des pauses entre chaque prise. Face à l’absence d’amélioration, il sera nécessaire d’envisager le finger-food.

Psychomotricien

Évaluation :
Trouble psychomoteur global en lien avec les troubles neurocognitifs (trouble du schéma corporel et de l’image du corps, trouble spatio-temporel, troubles praxiques)

Interventions sur 2 axes :
– Séance individuelle : stimulation de la mémoire émotionnelle et procédurale avec de la musique et d’objets appréciés par Mme A. Ce temps permet de travailler les schèmes moteurs pour maintenir le geste main/bouche pour manger seule.
– Repas thérapeutique : stimulation avec les couverts proposés par l’ergothérapeute. L’évolution des troubles neurocognitifs a induit de mettre en place le finger-food (le manger-main) et la stimulation mémoire procédurale.

Transmissions aux équipes :
Travail sur la communication spécifique et la stimulation par mimétisme.

Suivi des préconisations :
Mise en place du finger-food concluante : amélioration de son autonomie et indépendance nécessitant parfois une guidance verbale et du mimétisme pour l’initiation du geste.

EXEMPLE 4 : Monsieur P.

M. P. est un homme âgé de 83 ans et présente une maladie de Parkinson diagnostiqué depuis 27 ans. Il est entré en EHPAD en 2012 suite à une difficulté de maintien à domicile. A ce jour, l’équipe soignante observe des difficultés de plus en plus importantes dans l’exécution des gestes de la vie quotidienne. M. présente une bradykinésie (=lenteur de mouvement) et une fatigabilité importante.

Ergothérapeute

Évaluation :
Gestes lents mais fonctionnels, pas de troubles praxiques. Mauvaise assise (pieds ne touchant pas le sol) augmentant la fatigabilité et entravant la prise de repas.

Accompagnement :
Mise en place d’un marchepied pour stabiliser la posture.

Transmissions aux équipes :
Être vigilant à l’installation à table (appui plantaire) et proposer de découper les aliments pour limiter la fatigue.

Psychomotricien

Évaluation :
Trouble psychomoteur global causé par la maladie de Parkinson.

Accompagnement :
Séance en individuel orienté sur de l’éducation thérapeutique afin de l’accompagner à comprendre sa maladie et à la gérer au quotidien. Travail sur la conscience corporelle avec de la relaxation dynamique pour l’aider à appréhender ses mouvements dans l’espace et sa fatigabilité et ainsi faciliter sa prise de repas.

Transmissions aux équipes :
Respecter le rythme individuel.

Suivi des préconisations :
Respect des préconisations pour l’installation à table facilitant la prise des repas. Mise en place d’un accompagnement partiel en fonction des observations de l’équipe soignante (fatigue, gestion du temps de repas, tremblements).

En conclusion

Ainsi, l’ergothérapeute travaille davantage sur l’adaptation de l’environnement alors que le psychomotricien est principalement centré sur le vécu psychocorporel de la personne âgée.

Toutefois, le maintien d’autonomie de la personne âgée et le vécu de son vieillissement nécessitent un travail collaboratif et non pas seulement entre ces deux professions. En effet, les bénéfices des adaptations et des séances sont tributaires de toutes les personnes qui interviennent auprès la personne. Ainsi, l’ergothérapeute, le psychomotricien ou tout autre professionnel a besoin de collaborer afin de pouvoir proposer un accompagnement et des aménagements adaptés à la personne âgée mais également à la structure. Ainsi, l’accompagnement est pleinement holistique et considère tous les aspects de la personne âgée et de son environnement.

Qu’en est-il en 2020 ?

Nous profitons d’un reportage réalisé par France 3 et diffusé au JT du 20/11/2020, en pleine seconde vague de COVID, pour voir en action Myriam POCHART et Florine CARRERE à l’EHPAD Grand’Maison des Sacrés Cœurs à Poitiers.

Bibliographie
  • JUHEL J-C., (2010), La psychomotricité au service de la personne âgée, Lyon, Puf
  • PERSONNE M., (2003), Les chaos du vieillissement, Ramonville SaintAgne, Eres
  • SIMARD C., (2005), Vieillissement, identité, affectivité – Préserver la valeur du quotidien, Québec, CCDMD
  • ALBARET J-M, (2003), Vieillissement et psychomotricité, Paris; Broché

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