Alzheimer et Activités physiques : un point sur la recherche
Posté le 25 juillet 2013 dans Articles

Le nombre de personnes atteintes de la maladie Alzheimer est estimé à 850000 avec 165000 nouveaux cas par an. Ces syndromes démentiels ou apparentés sont donc un phénomène majeur de notre société moderne. La fréquence croissante de cette maladie tient à deux facteurs. D’une part, nombreuses atteintes cognitives sont étiquetées « maladie d’Alzheimer » lorsqu’elles remplissent les mêmes symptômes cliniques (démence fronto-temporale, démence vasculaire voire dépression, syndrome confusionnel…). D’autre part, la prévalence de la maladie d’Alzheimer tend à augmenter de façon exponentielle avec le vieillissement de la population. Elle passe de 5% avant 65 ans à 20% après 85 ans (Anaes, 2001).

L’accompagnement de la maladie d’Alzheimer repose sur des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Le traitement médicamenteux spécifique comporte les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et les antiglutaminergiques. Ils ont montré une efficacité modérée et supérieure au placebo sur l’état global du patient, sur les troubles cognitifs, la perte d’autonomie et les troubles du comportement, mais n’empêchent pas la maladie d’évoluer (Vasile et al., 2008). Ils sont aujourd’hui controversés dans les institutions. L’efficacité des médicaments psychotropes (antidépresseurs, neuroleptiques, antipsychotiques) pour traiter les troubles du comportement est assez mal documentée. Les approches non médicamenteuses (art-thérapie, snoezelen, réminiscence, activités physiques adaptées…) se sont développées pour répondre de manière complémentaire à ses troubles psycho-comportementaux.

–        Les approches non médicamenteuses et Alzheimer

Au-delà des prises médicamenteuses, les accompagnements sont mal évalués sur le plan scientifique. La musicothérapie (Guetin et al., 2007, 2009), l’art-thérapie (Mimica & Kalinic, 2011), le snoezelen (Staal et al., 2007), la réminiscence (Van Bogaert et al., 2013) sont autant de thérapies qui se développent en institution. Peu voire pas d’évaluations scientifiques montrent les effets bénéfiques. Néanmoins, l’évaluation clinique et l’observation sont déjà des éléments qui laissent à penser que ces approches ont leurs intérêts.

L’activité physique (Diesfeldt & Diesfeldt-Groenendijk, 1977 ; Lindenmuth & Moose, 1990 ; Palleschi et al., 1996 ; Rolland et al., 2000 ; Friedman & Tappen, 1991 ; Williams & Tappen, 2007 ; Tappen et al., 2000 ; Teri et al., 1998 ; Arkin et al., 1999 ; Eggermont & Scherder, 2006 ; Eggermont et al., 2005 ; Kemoun et al., 2011) semblent l’approche non médicamenteuse la plus documentée sur le plan scientifique bien qu’elles restent très restreintes. Il semblerait que l’activité physique adaptée permette de lutter contre deux types de conséquences de la maladie : les troubles du comportement (dénutrition, trouble du sommeil, anxiété, agitation…) et la dégénérescence des fonctions cognitives (Kemoun et al., 2011). Elles permettent donc une amélioration de la qualité de vie des patients et de leur entourage. L’accompagnement par l’activité physique sur les fonctions cognitives des patients atteints de démence est encore très mal documenté. L’élaboration d’un protocole de recherche exige des contraintes réglementaires, éthiques… Ces contraintes, la polymédication et l’institution parfois, sont autant d’obstacles rencontrés dans la recherche clinique. En effet, l’institution (EHPAD) peut apparaitre comme un frein. L’activité physique peut sembler risquée pour des personnes fragiles, à risque de chute, cardiaque…. Lazowski et al. 1999, ont montré la très bonne adaptation des personnes atteintes d’un syndrome démentiel à l’exercice physique. Aussi, nos équipes d’actiphysiciens à « ReSanté-Vous » poursuivent, dans ce sens, des programmes de réadaptation basés sur le maintien de l’autonomie fonctionnelle.

–        Quels types d’activités physiques seraient bénéfiques ?

Sur le plan scientifique, deux études ont montré que des exercices d’endurance (marche ou ergocycle) pouvaient maintenir les fonctions cognitives globales évaluées par le MMSE des personnes atteintes d’un syndrome démentiel de type Alzheimer (Palleschi et al., 1996 ; Rolland et al., 2000). D’après la littérature, les activités d’endurance (marche, ergocycle…) apparaissent comme des pratiques essentielles afin d’améliorer les fonctions cognitives des personnes âgées saines (Colcombe & Kramer, 2003) et des personnes âgées atteintes d’Alzheimer ou apparentées (Palleschi et al., 1996 ; Rolland et al., 2000), notamment par l’amélioration des capacités aérobie. Nous avons donc répertorié seulement trois études qui se sont intéressées aux effets d’un programme d’activités physiques sur les fonctions cognitives globales des patients Alzheimer.

L’effet de l’activité physique sur les troubles psycho-comportementaux est une seconde piste de travail non négligeable quand on connait les difficultés qu’elles créent pour les équipes soignantes. Edwards et al. (2008) révèle la faisabilité d’un programme d’exercice d’intensité modérée et le potentiel de l’exercice comme une intervention non pharmacologique pour réduire les symptômes de l’affect négatif et la dépression chez cette population vulnérable.

Alors que de nombreuses approches se développent pour programmer des activités physiques, la littérature montre les effets bénéfiques. Il semble, néanmoins, pertinent de réglementer l’animation et la programmation de ces activités dès lors qu’elle est à destination d’un public fragile comme les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou apparentée car sur le plan clinique, nous observons quotidiennement la pertinence de cette approche.

–        Les hypothèses de recherche : Pourquoi l’activité physique maintiendrait les fonctions cognitives ?

La première hypothèse avance l’influence nutritive de l’activité physique sur la fonction synaptique et/ou neuronale (Churchill et al., 2002). Leur revue (Churchill et al,. 2002) examine les expérimentations animales dans lesquelles l’exercice physique provoque la synaptogenèse, la neurogenèse, la plasticité gliale, et la plasticité vasculaire dans le vieillissement normal du cerveau. Il semblerait que l’activité physique ait un effet trophique sur les structures du système nerveux central et contribue au développement des connexions synaptiques et de la plasticité cérébrale (Cotman & Berchtold, 2002). Bien que cette théorie soit développée surtout chez l’animal, une étude récente apporte une tentative de validation à cette hypothèse chez l’homme. Colcombe et al. (2003) ont examiné la relation entre l’aptitude physique aérobie et la densité du tissu cérébral (notamment la densité de la substance blanche et de la substance grise) chez 55 adultes âgés de 55 à 79 ans.

La seconde hypothèse repose sur la corrélation entre la capacité aérobie et les performances cognitives. L’activité physique régulière, qui améliore l’aptitude physique aérobie, augmente la perfusion cérébrale et permet ainsi une meilleure oxygénation du système nerveux central (Dustman et al., 1994). L’activité physique pourrait ainsi, par l’amélioration de l’utilisation de l’oxygène et/ou du débit sanguin cérébral, améliorer le métabolisme glucidique et celui des neurotransmetteurs (sérotonine, norépinéphrine, dopamine) essentiels au fonctionnement cognitif. De plus, les personnes développant la maladie d’Alzheimer présentent une hypoperfusion dans l’hippocampe, l’amygdale et le thalamus (Eggermont et al., 2005). Ainsi, l’amélioration de l’utilisation de l’oxygène et l’augmentation du débit sanguin dans le cerveau constituent une hypothèse intéressante qui pourrait expliquer l’effet bénéfique de l’activité physique chez les patients déments.

La recherche ouvre de nouvelles perspectives mais les difficultés liées à la mise en œuvre freinent le développement de celle-ci comme le souligne le Pr Yves Rolland, pionnier de la recherche médicale en EHPAD, dans une interview accordée au journal du médecin coordonnateur (mai-juin 2013). « Nous avons un devoir de recherche sur cette population, qu’on ne sait pas très bien comment prendre en charge parce qu’elle est âgée, polypathologique avec des co-morbidités multiples. …] actuellement, nous avons très peu de données permettant de savoir quels sont les soins les plus appropriés pour les personnes ».

 Nicolas Roumagne
Ingénieur en réadaptation
Co-directeur ReSanté-Vous                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

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A quoi servent les EHPAD ? Le Journal du médecin coordonnateur N°52 Mai-juin 2013