Communiquer en-corps avec une personne atteinte d’un syndrome démentiel de type Alzheimer
Posté le 25 juin 2014 dans
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L’évolution des trouble neuro-cognitifs conduit à des troubles de la communication, tant dans l’élocution que dans la compréhension, allant jusqu’à une aphasie totale. Lorsque la personne est à ce stade, de façon consciente ou non, les soignants leur parlent moins voire plus du tout.
Nous construisons et façonnons notre identité à travers nos expériences sensori-motrices et des différentes interactions avec notre environnement. En effet, « la communication est une régulation ouverte où les personnes mettent en commun leurs expressions et où le sujet est pris dans un jeu entre expression et ressenti, ce qui implique aussi une reconnaissance réciproque » (Boscaini, Saint-Cast). Dès lors, la limitation ou l’absence de communication avec autrui met à mal le sentiment d’identité. En tant que soignant en gériatrie, nos prises en soin ne se limitent pas à des soins corporels mais à aider et accompagner la personne à Être.
Mieux comprendre la communication et la maladie d’Alzheimer sont des éléments clés pour parfaire nos pratiques professionnelles et accompagner la personne âgée à Être malgré la maladie en maintenant une communication efficiente.
La communication
Une communication se réalise selon un schéma type. En effet« elle [la communication] est l’ensemble des processus physiques et psychiques par lesquels s’effectue l’opération de mise en relation de une (ou plusieurs) personne(s) – l’émetteur – avec une (ou plusieurs) personne(s) – le récepteur -, en vue d’atteindre certains objectifs » (ANZIEU D., MARTIN J-Y.). Toutefois, une communication ne se limite à un émetteur et un récepteur. Selon JACOBSON, il faut également considérer le contexte (= état émotionnel, lieux etc), le code (=le langage commun) et le canal (=moyen de communication spécifique).
La communication est pleinement efficiente dès lors que les canaux sensoriels d’interaction ne sont pas altérés et que les protagonistes ne présentent pas de troubles cognitifs. En effet, lors d’un échange il existe une synchronisation des paroles et des gestes. Lorsque l’un des deux protagonistes présente un trouble cognitif, la synchronisation devient difficile voire chaotique car ils ne parviennent pas toujours à interpréter mutuellement leurs messages : créant une ‟dissymétrie relationnelle″. Dès lors, il est du rôle du soignant de rééquilibrer l’interaction en comprenant la personne.
Communication et troubles neuro-cognitifs
Lors des premiers stades de la maladie d’Alzheimer, il n’y a pas de difficultés particulières au niveau du langage. Progressivement des troubles de l’élocution et de la compréhension vont apparaître. La personne va avoir des difficultés à formuler ses propos, elle va être plus lente pour s’exprimer, se répéter, oublier ou encore se tromper de mots. Ces difficultés peuvent conduire à un repli de la personne et à l’inhibition de l’initiation d’interaction verbale. Les troubles phasiques suivent un schéma type en lien avec les troubles cognitifs. Toutefois, les stades sont cités à titre indicatif car l’évolution est propre à chaque personne.
Stade |
Niveau de communication |
1 |
Aucun problème de communication |
2 |
Oubli de mot, perte d’initiative de conversation, réduction du débit vocal |
3 |
Vocabulaire plus limité et répétitif |
4 |
Difficulté d’évocation, utilisation de termes génériques, de paraphrases et incompréhension langagière |
5 |
Palilalie et les mots utilisés n’ont ni sens ni lien phonétique |
6 |
Paroles incompréhensibles, langage limité et incohérent, mutisme et jargon sémantique |
7 |
Vocabulaire limité à quelques mots, cris, grognements et phonèmes |
Détérioration de la communication verbale chez les patients Alzheimer (GRISE J., 2010, p 23) Cependant, les difficultés langagières ne signifient pas que la personne âgée atteinte d’un trouble neuro-cognitif ne peut plus communiquer car elle conserve la capacité de « décoder le langage non verbal durant une longue période. » (GENDRON M. cité par JUHEL J-C., 2010, p102). Dès lors, elle maintient une perception de son environnement et peut réagir à l’émotion d’autrui car l’empathie est encore présente. La personne peut donc « avoir des réactions logiques, même si la pertinence de celles-ci est sujette à caution du fait de la non-régulation des affects par des compétences cognitives amoindries » (PLOTON L, 2010, p42). L’outil principal nous permettant de pouvoir décoder les messages de la personne est la communication non verbale. La communication non verbale
Le corps a une place importante qu’il ne faut pas négliger. Au quotidien, nous utilisons les messages corporels pour compléter et mieux comprend re les informations mais de façon inconsciente. Chacun de nous, même sans connaître l’interlocuteur, pouvons discerner l’état émotionnel de l’autre. En effet, même si nous sommes tous différents, les émotions s’expriment via des patterns physiologiques induisant un état tonique et une expressivité spécifiques. Mais la communication non-verbale ne se limite pas à cela. Elle est composée de sept éléments (le paralangage / la proxémie / le toucher / le regard / les postures / les gestes / les expressions du visage)
Les personnes atteintes d’un trouble neuro-cognitif ont un autre moyen de communication : les « troubles du comportement ». Ils « désigne[nt] une inadaptation d’une autre sorte qui ne met plus en cause les aptitudes praxiques et physiques mais touche à la relation. […]. Le trouble désigne aussi l’opposition, le refus ou la passivité, c’est-à-dire des manifestations d’ordres négatifs mais qui perturbent autant la relation d’aide. » (CHARAZAC P., 2009, p44). Leurs présences signent l’expression notamment d’un besoin, d’une angoisse ou d’une émotion. Pour Louis PLOTON, « ils constituent une stratégie inconsciente de neutralisation psychique de l’entourage » (2010, p62). Pour aller plus loin, les cris, les grognements ou encore les phonèmes ont une valeur de communication. Ainsi, même si les mots ne sont plus évoqués, la voix et le corps restent un moyen d’interaction car « la perte du discours verbal prive le malade de la possibilité universelle de mettre des mots sur ses émotions pour gérer son stress. » (PLOTON L., 2010, p61) mais le corps est un canal de communication puissant jusqu’à la fin de la vie ; car « on ne peut pas ne pas communiquer » (Watzlawick).
Tous ces éléments, observés dans un contexte, nous permettent de comprendre les besoins et les désirs de la personne et de pouvoir maintenir un échange. En effet, la maladie « ne modifie pas la capacité de la personne à éprouver des sentiments tels que la joie, la colère, la peur, l’amour ou la tristesse, ni la capacité à réagir à leur présence. Une mémoire émotive est aussi constatée. » (GRISE J., 2010, p10). Les personnes restent sensibles à notre paralangage. Ainsi, même si la compréhension des mots est ardue, l’intention et l’émotion qui est derrière est perçue et reconnue.
L’évolution des troubles neuro-cognitifs montrent l’importance et l’utilité de la communication non-verbale. Il existe différentes techniques d’interaction verbale en fonction des troubles phasiques, mais utiliser notre communication corporelle de façon consciente potentialise nos compétences professionnelles. Toutefois, ces connaissances ne suffisent pas. Afin d’interagir au mieux avec la personne, il faut avoir une bonne conscience de sa propre communication non-verbale, de ses émotions et de son humeur. Ces éléments « influencent […] nos impressions à propos de nous-mêmes, […] des autres [et] la façon de nous exprimer. » (NELIS D., 2009, p87). Le comprendre et le maîtriser est indispensable car notre façon de communiquer et d’être a un effet sur l’interaction et le comportement de la personne. (HENDRYX-BEDALOV cité par GRISE J., 2010, p19).
Myriam Pochart
Psychomotricienne
Formatrice Scenésens