La vie en EHPAD entre faire et laisser faire par Michel Billé
Posté le 7 juillet 2015 dans Articles

« Ce que vous faites pour moi si vous le faites sans moi alors vous le faites contre moi… » Nelson Mandela. Et nous savons bien que tous, une fois ou l’autre, nous sommes « tombés dans le panneau », pour gagner du temps, par manque de moyens, par manque de personnel, de réflexion, de formation, etc. Tous il nous est arrivé de faire à la place et sans l’autre… Il ne s’agit donc pas de culpabiliser tel ou tel mais bien de réfléchir, de chercher ensemble comment améliorer nos pratiques.

Laisser faire c’est d’abord ne pas interdire ou même ne pas empêcher… Il y a dans cette expression quelque chose de l’ordre du respect de la liberté de l’autre et ceci est évidemment réjouissant.

Et c’est l’occasion de rappeler que la loi de l’extérieur s’applique et doit s’appliquer à l’intérieur de l’établissement. L’intérieur n’a pas à réinventer la loi mais à mettre en œuvre les usages, les modes de vie qui permettent de l’appliquer. Tout n’est pas possible donc, nous le savons et il y a toujours un peu de démagogie à laisser croire que tout est possible.

Pour autant, l’enjeu est sans doute de ne pas abuser, dans l’organisation de la vie quotidienne d’un établissement, de l’argument selon lequel la vie collective implique des limites aux libertés individuelles… Chacun sait bien que « la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres » mais il est beaucoup plus intéressant pour faire vivre un collectif d’essayer de considérer que la liberté des uns commence où commence celle des autres… Et l’on tente alors de développer du possible au lieu de concentrer l’attention sur l’interdit…

Faire c’est agir et agir c’est être acteur. Être acteur, acteur de sa vie malgré l’âge, au delà de l’âge et même à cause de l’âge. Être acteur de sa vie, il se peut que cela apparaisse comme une formule, une bonne intention de plus : rester acteur, voilà bien une formule consensuelle. Pourtant cette formule est intéressante si on la fait parler.

Être acteur, au théâtre c’est jouer un rôle. Il n’y a pas d’acteur s’il n’y a pas de rôle. Quel est donc le rôle joué par les personnes âgées accueillies en EHPAD ? Jouent-elles un rôle ? En ont-elles la possibilité ? Oui sans doute mais ce rôle est-il enviable ? Exister sur la scène sociale, c’est toujours jouer un rôle, à cause de ce rôle, bénéficier d’un statut, à travers ces deux éléments, remplir une fonction et ainsi occuper une place de plein droit dans la communauté des hommes. Pierre SANSOT définissait l’identité de la manière suivante : « Mon identité, c’est l’image que j’ai de moi, forgée dans le rapport aux autres parce que j’ai par la suite à répondre à leur attente »

On comprend alors que l’image que j’ai de moi varie en fonction de ce que l’autre attend de moi. La véritable question identitaire n’est donc pas tant » qui suis-je ? » mais bien « qu’attends-tu de moi ? » Qu’attends-tu de moi, toi qui viens travailler dans cet EHPAD où l’on me place ? Où l’on m’accueille ? Où l’on fait à ma place ? Où l’on fait avec moi ? Où l’on m’accompagne ? Etc. On l’aura compris, c’est bien le regard que nous portons sur l’autre qui détermine le statut dans lequel nous le tenons et par conséquent le rôle qu’il peut jouer.

Alors faire, mais faire quoi ? Tout ! Tout ce qu’il est encore possible de faire parce que c’est dans cette action que peuvent s’opérer les nécessaires remaniements qui accompagnent l’avancée en âge.

Qu’est-ce que vieillir en effet ? Si nous acceptons l’idée que vieillir soit bien une question d’âge mais pas qu’une question d’âge, alors vieillir c’est toujours eMichel billé RSVt pour chacun : remanier son rapport au temps, remanier son rapport au monde, aux autres, et à soi-même…

Vieillir c’est donc vivre encore et par conséquent investir ce temps qui me sépare encore de ma mort au lieu de le regarder comme ce temps qui me rapproche de ma mort même si c’est indéniable.

Bref, rien ne saurait être écarté de ce que nous pouvons faire, la seule question est bien quel en est le sens pour la personne concernée ?

Au fond il s’agit de faire œuvre de culture, aussi bien à travers la vie quotidienne, parce que la préparation d’un repas ou l’entretien d’une chambre c’est de la culture, qu’à travers des activités dites artistiques ou de création comme l’écriture, la peinture ou le théâtre, le chant, la danse même… Mise en scène, mise en mouvement des corps, mise en scène en mouvement des esprits, mise en activité des mains, etc. faire…

« Faire et ce faisant se faire » disait Jean Paul Sartre.

« Se faire » parce que vieillir c’est continuer à vivre et donc continuer à se construire comme être de culture, un être de sentiments, d’émotions, de relations, d’actions…

Michel Billé. Sociologue.