Troubles du comportement : Des réflexions qui sèment le trouble
Posté le 9 février 2015 dans Articles

    Et si nous tentions de les comprendre…

Changer de regard pour se comprendre…

     Dans la littérature scientifique, il est décrit que les personnes atteintes de troubles neurocognitifs présentent des « troubles du comportement » ou encore nommés « symptômes psycho-comportementaux des démences (SPCD) ». Derrière ces deux termes il est question de l’opposition aux soins, d’agitation, d’agressivité, de cris et autres comportements qui dérangent… Quels comportements dérangent ? Quelles sont les personnes dérangées par ces comportements ? Parlons-nous tous de la même chose ? Dans ces sens, il est important que nous nous interrogions sur la définition que nous donnons à ces termes afin de comprendre nos réactions face à leurs présences. En tant que professionnel de soins, quel(s) sens donnons-nous à ce type de comportement ?

Quelques réflexions autour des définitions

    Selon l’Organisme mondiale de la Santé (OMS), « les troubles du comportement se caractérisent par un changement du mode de pensée, de l’humeur ou du comportement qui ne rentre plus dans les normes ou les croyances culturelles ». Nous comprenons donc que lorsqu’un comportement ne correspond pas aux normes il est qualifié de « trouble du comportement ». De la même façon, la Haute Autorité de Santé (HAS), dans son argumentaire de recommandation de bonnes pratiques de Mai 2009, notifie que « le terme de trouble du comportement suppose une réaction inadaptée ou inattendue à une stimulation ». En utilisant les termes de « inadaptée » ou « inattendue » cela sous-tend, là aussi, un lien avec une norme. Mais de quelles normes parlons-nous ? Quel référentiel utilisons-nous dans nos pratiques ?

                Afin de réfléchir sur la notion de normes, voici l’exposé d’un cas clinique :

 Madame T., âgée de 72 ans, est atteinte du syndrome de Korsakoff. Cela fait presqu’un an qu’elle est présente au sein d’une unité de vie protégée. Depuis son admission, elle veut entrer dans le poste de soins, la cuisine, elle rentre dans toutes les chambres, surveille l’installation des autres personnes présentes. Au niveau institutionnel, ses attitudes sont définit comme « troubles du comportement ».

L’équipe lui dit fréquemment : « vous n’avez pas le droit d’entrer », « je ne peux pas vous ouvrir » ou encore « ce n’est pas à vous de faire ça ». Dès que Madame T. entend ses propos, elle s’énerve en disant « mais je suis chez moi j’ai le droit d’aller où bon me semble.»

                D’après le règlement de cette institution, les personnes accueillies n’ont ni le droit d’entrer dans la cuisine ni dans le poste de soins. En le considérant, il est donc « normal » que l’équipe n’accepte pas les demandes de Madame T. Dès lors, vouloir entrer dans les pièces ne correspond pas à un « comportement normal ».

                Mais si nous considérons le référentiel de Madame T. Cette dernière dit être chez elle, il lui est donc « normal » de pouvoir accéder aux pièces qu’elle désire. Pour elle, c’est donc l’équipe qui présente « un trouble du comportement » en lui refusant d’accéder aux différentes espaces ?

Par cet exemple, nous constatons l’importance du référentiel que nous utilisons pour définir « une norme ». Spontanément, nous considérons de « normal » nos propres référentiels en fonction de notre histoire de vie et nos valeurs. Toutefois, l’établissement, en fonction de son projet et de sa philosophie de prise en soins, distingue les comportements normaux et les comportements perturbateurs.

Nous considérons que « la nuit, l’ensemble des personnes dorment ». Dès lors une personne âgée qui « déambule » après s’être couchée : ce comportement est jugé inhabituel. Demandez à vos grands parents s’ils ne se lèvent pas la nuit. Une fois ? Deux fois ? Mais au sein d’un établissement, les repères sont différents. Les toilettes sont parfois difficilement repérables, le frigo n’est pas directement accessible, l’équipe de nuit utilise des chariots, fait des rondes de surveillance et de changes. Il existe donc des bruits de fond qui réveillent. En considérant les troubles cognitifs spécifiques (notamment troubles de la mémoire et une désorientation temporo-spatiale), il semble difficile de se recoucher et se rendormir sereinement. Dans cette situation, les propos de V.Frankl, cités par J. Pellissier, prennent tout leur sens : « une réaction anormale, dans une situation anormale, est un comportement normal. » (p.293). Mais pour autant, il ne faut pas considérer comme normal la présence de troubles mais chercher le sens de la présence.

Réflexions concernant la présence de comportements perturbateurs

Les maladies neurocognitives conduisent, entre autres, à des troubles praxiques, gnosiques, phasiques, attentionnels, de la communication etc. Ces troubles cognitifs modifient la perception de l’environnement et influencent les capacités d’adaptation de la personne. Dès lors, il est souvent considérer comme « normal » la présence de troubles de comportement.

« Comme d’habitude, agressif », « elle crie tout le temps », « elle appelle au secours comme d’habitude », « ça sert à rien de lui parler il ne se calmera pas », voici des propos que je peux lire ou entendre en transmission. Les personnes sont identifiées par leur comportement. « C’est Mme X, celle qui crie tout le temps… ». Le « trouble du comportement » n’est pas normal à cause de la maladie mais signe un message. Considéré comme habituel, la présence d’un comportement perturbateur limite l’attention que nous pouvons lui porter. Notre incompréhension engendre l’insatisfaction d’un besoin.

 Mme Z., est institutionnalisée au sein d’une unité de vie protégée depuis 4 ans.
Il a été diagnostiqué une maladie d’Alzheimer. Depuis son entrée, Madame crie « Viens me chercher, viens me chercher ». Au début, elle criait cette phrase tous les soirs vers 17h mais dès qu’elle était en présence de quelqu’un ses cris étaient moins présents. Plus les mois passaient plus les cris se faisaient retentirent. Les autres résidents se plaignaient. L’équipe avait décidé de la laisser dans sa chambre avec la télévision allumée.
Plusieurs mois plus tard, les cris étaient moins forts et de moins en moins présents. Plus tard, Madame refusait de manger, n’était plus participative lors des soins. Un bilan a été demandé : Madame faisait une hémorragie interne.
 

Nous constatons que la demande d’un bilan a été demandé à partir du moment où Mme Z. ne voulait plus manger alors que son comportement « cri » était modifié avant. Nous observons une variation dans le comportement (en majoration ou en diminution) mais cherchons-nous à analyser et à comprendre cette variation ? Il n’est pas rare de se poser des questions lorsqu’il y a un changement dans les besoins physiologiques (boire, manger, uriner, aller à la selle). Pourquoi ne pas pratiquer le même questionnement lorsque le comportement perturbateur est modifié ?

La présence d’un trouble du comportement est également à mettre en lien avec des peurs et des angoisses. Le plus fréquent est « la déambulation ». Si la personne présente un risque de chute, nous avons tendance à tout faire pour qu’elle reste assise. Mais que cherche-t-elle ? Pourquoi marche-t-elle autant ? Les réponses peuvent se trouver dans l’histoire de vie de la personne. Quelques propos entendus à plusieurs reprises : « j’ai un train à prendre » ou encore « je dois aller chercher mes enfants ». Que faisons-nous fasse à ces affirmations ? Quelle est notre attitude ? Est-il vraiment pertinent de répondre « ne vous inquiétez pas, vous êtes à la maison de retraite » ? En effet, en considérant les troubles des mémoires et l’ecmnésie, la personne ne peut pas s’inscrire comme étant présente dans un ehpad ?puisqu’elle se pense avoir des enfants à aller à l’école. Dès lors, est-il pertinent de vouloir arrêter à tout prix cette marche incessante et de donner des réponses de faits présents ?

Ces comportements sont des moyens de communication, d’interaction avec l’environnement (matériel et humain). En effet, les troubles cognitifs limitent la communication verbale et l’analyse de l’environnement. Toutefois, les canaux sensoriels d’interactions continuent de capter les variations environnementales (lumières, sons etc.) ou humaines et le corps, mémoire à part entière, devient le seul vecteur du message émotionnel.

                Un trouble du comportement n’est pas à normaliser mais à considérer comme un message. Le comprendre c’est comprendre la personne dans ce qu’elle est, ses désirs et ses plaisirs et non pas à travers sa pathologie. Mais pour se faire, tentons de saisir leur perception de l’environnement.

Myriam Pochart
Psychomotricienne ReSanté-vous – Formatrice Scenesens
 

Bibliographie :
CHARAZAC P., (2012), Soigner la maladie d’Alzheimer, Paris, Dunod
PELLISSIER J., (2010), Ces troubles qui nous troublent – Les troubles du comportement dans la maladie d’Alzheimer et les autres syndromes démentiels, Toulouse, Eres, édition 2014
Haute Autorité de Santé, (2009), Recommandation de bonne pratique – Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : prise en charge des troubles du comportement perturbateurs, http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-07/maladie_dalzheimer-troubles_du_comportement_perturbateurs-recommandations.pdf