Approche non médicamenteuse ou technonologique ? ReSanté-News Octobre 2019
Posté le 7 octobre 2019 dans
Articles
Approche humaine ou technologique ?
le point sur les méthodes développées dans le monde
« La révolution numérique est en train de bâtir brique par brique le rêve millénaire de toutes les dictatures – des citoyens sans vie privée, qui renonçaient d’eux-mêmes à leur liberté… ».
Quand Bernard Minier évoque ces propos dans Une putain d’histoire (2015), il met en exergue le risque de cette révolution numérique. Il se construit un système dans lequel nous devenons tous auteurs et acteurs de sujets tels que l’atteinte de nos libertés, la traçabilité sans éthique et la complexité des fonctionnalités. Face à la transformation numérique, les applications, les smartphones, les objets connectés voire les robots sont au cœur des innovations de demain. Mais quelle place pour la relation humaine ? La technologie et l’approche humaine sont-elles opposées ?
L’approche humaine, appelée parfois non médicamenteuse, peut se définir comme étant un ensemble de techniques fondées sur une vision positive de l’être humain. La présomption de compétence, défendue notamment par le Dr Véronique Lefebvre des Noettes, est un des éléments clés de cette approche. La personne âgée est capable, même avec une maladie d’Alzheimer. L’approche humaine intègre aussi une approche environnementale selon laquelle l’adaptation de notre espace est fondamentale pour faciliter l’autonomie ou même pour que celle-ci soit possible. Si Mme X ne retrouve jamais sa chambre, ce n’est peut-être pas parce qu’elle est atteinte d’Alzheimer mais parce qu’il n’y a aucun repère accessible à ses compétences.
Jérôme Pellissier a été un des premiers en France à avoir dénoncé cette société incapable d’accepter son vieillissement et violente envers les plus âgés dans La nuit tous les vieux sont gris. L’écrivain et chercheur s’est rapproché ensuite d’Yves Gineste pour publier l’Humanitude. Cependant, outre Atlantique notamment, Naomi Feil, Cameron Camp et même Nicole Poirier travaillaient sur des approches centrées sur la personne. Grâce à l’ensemble de ces réflexions, des méthodes et des outils permettent aujourd’hui de mieux accompagner les personnes âgées à domicile et en EHPAD, notamment celles souffrant de la maladie d’Alzheimer. Je vous propose de présenter succinctement ces approches sur lesquelles notre équipe s’appuie pour accompagner, chaque semaine, les bénéficiaires de nos accompagnements. Mais quelle place y-a-t-il avec les nouvelles technologies ?
Par exemple, le sociologue Bernard Ennuyer, un autre porteur de cette approche humaine, déplore « la confusion volontairement entretenue entre dépendance et perte d’autonomie comme synonyme d’incapacité à faire… et finalement incapacité à être » (2002). D’autres auteurs tels que Michel Billé, président de notre conseil éthique ou encore Marie-Hélène Jacques, maître de conférence en sociologie préfèrent « la personnalisation plutôt que l’individualisation, pour que la personne soit sujet de son existence plutôt qu’objet de soins » (2016). Toutefois, en dépit de son humanisme, ce mouvement n’est pas encore LA règle chez les professionnels, que ce soit au sein des établissements (EHPAD) ou dans l’accompagnement à domicile. Certains praticiens, dont quelques chercheurs, ont imaginé des méthodes centrées sur l’humain.
HUMANITUDE
Créée en France et parmi les plus connues sur notre territoire, nous retrouvons la méthode Humanitude qui a été formalisée par Yves Gineste et Rosette Marescotti. Même si nous ne pouvons qualifier cette méthode comme une véritable découverte, cette innovation sociale bouleverse la représentation sociale des soignants et le prendre soin notamment au moment de sa création. « Les histoires de soignantes ayant été mal notées ou engueulées parce qu’elles avaient été surprises « à ne rien faire »… c’est-à-dire surprises en train de parler avec un patient ou de rester quelques minutes avec lui en silence, rempliraient à elles seules plusieurs livres » (Gineste Y., Pellissier J., 2007). Comme évoqué précédemment, cette méthode a été impulsée par le chercheur Jérôme Pellissier et son association avec Yves Gineste a donné la publication de l’Humanitude aux éditions A. Colin (2007). Comme ils l’évoquent eux-même les soignants et les aidants se précipitent sur le chapitre 7 de cet ouvrage car il présente les « techniques », les « règles de l’art ». Il s’agit ainsi de transformer une approche globale en « techniques » facilement applicables par les professionnels de proximité. Une didactisation qui fait son succès en France et dans le monde aujourd’hui.
LA VALIDATION
La méthode – aussi appelée Validation® affective, ou thérapie par empathie – a été conceptualisée par la psychologue américaine Naomi Feil en 1963 et introduite en Europe en 1988. Par son historique, la Validation n’est pas une nouveauté mais semble profondément novatrice dans sa philosophie qui conteste ce pronostic aliénant de la maladie d’Alzheimer. Cette méthode a pour objectif principal de maintenir la communication avec les personnes désorientées. « Elle postule qu’il est possible d’entretenir une relation de qualité avec les personnes âgées dites démentes et entreprend de développer une pratique, qui manifeste le droit imprescriptible de tout être humain au respect de sa dignité, de son intégrité et de sa liberté d’expression. » (Munsch-Roux K. & Munsch F., 2008). La Validation se développe dans le monde par des formations organisées sur quatre niveaux.
MONTESSORI
« Aide-moi à faire seul » était la devise de Maria Montessori lorsqu’elle a développé son concept pédagogique à destination d’enfants défavorisés. 1ère femme médecin italienne, psychiatre, anthropologue, militante socialiste et féministe, elle soutient l’idée que l’accompagnement des enfants avec des troubles mentaux n’est pas nécessairement médical ou chimique mais plutôt éducatif. À partir de cette première réflexion, elle développera une pédagogie qui repose sur l’adaptation d’un environnement humain et physique qui permettra à l’enfant de se développer. Les concepts de Maria Montessori ont été transposés aux États-Unis, d’abord à destination des personnes ayant des troubles cognitifs de type Alzheimer (Camp C.J. 2012). Le Pr Cameron Camp montrera pendant ses vingt dernières années, les parallèles existant entre la méthode pédagogique initiale et l’accompagnement des personnes atteintes d’Alzheimer (Camp C.J. & Skrajner M.J., 2004, Gorzelle G.J., 2003). Aujourd’hui, cette méthode se développe dans le monde notamment par le biais de Montessori Lifestyle et montre chaque jour ses intérêts auprès des personnes âgées au sens large.
CARPE DIEM
Cette philosophie s’inspire de la psychologie humaniste existentielle de Carl Rogers. Elle est centrée sur la personne et met en exergue l’importance de la relation de confiance entre la personne aidée et la personne aidante. Initiée par Nicole Poirier, cette méthode prend ses racines à Trois-Rivières au Québec. Elle se formalise dans une publication récente avec le Pr Roger Gil, neurologue, dans Alzheimer : de Carpe Diem à la neuropsychologie (2018). Ils reprennent ainsi les liens étroits entre la neuropsychologie dans la maladie d’Alzheimer et l’approche Carpe Diem. Nicole Poirier dispense des formations en France régulièrement sur la base de l’approche humaniste qu’elle met en œuvre avec son équipe dans la maison de Trois-Rivières. « La philosophie de Carpe Diem donne la priorité à la relation humaine, à l’environnement familial et social, à la quête incessante des capacités de chacun au-delà de leurs difficultés, à la personne avant la maladie, à la relation de confiance plutôt qu’à la relation de contrôle. » propos recueillis par Audrey Minart.
D’autres encore, ont développé le concept de résilience qui a fait l’objet de nombreux travaux et dont Boris Cyrulnik constitue le fer-de-lance avec Louis Ploton (voir également Anaut, 2009 ; Ribes, 2006 ; Lecomte, 2005).
CHOIX D’UNE VISION POSITIVE PLUTÔT QUE DÉFICITAIRE
Ces méthodes parfois critiquées (Amyot, 2008) ont de nombreux points communs et reposent sur des théories qui considèrent la dignité, le respect, le pouvoir de décision, l’identité de la personne etc., comme des vecteurs de bien-être et d’épanouissement enclins à donner des résultats positifs sur l’accompagnement prodigué. Ces chercheurs ou praticiens invitent en effet à penser la personne humaine avant la dépendance, offrant ainsi de nouvelles perspectives dans l’appréhension de la maladie et de l’accompagnement, mais aussi et surtout, dans la conception du rapport à l’autre. Ce changement de regard sur la personne âgée dépendante est capital car si la maladie demeure, elle s’efface derrière l’être humain, derrière ce qu’il est en capacité de faire par lui-même. La notion de dépendance est alors toute relative.
Même si ces approches n’ont rien de révolutionnaire aujourd’hui, elles permettent de créer un mouvement très important allant vers un accompagnement encore plus humain. Cependant, quelle place a le numérique dans ces approches ? Quelle compatibilité existe-t-il réellement ? Les plus traditionalistes diraient sans doute que seule l’approche humaine apportera toute l’humanité dont le « patient » fragile et vulnérable a besoin au quotidien. Cependant le contexte socio-économique et politique place la technologie comme une voie majeure de modernisation et ce même dans le médico-social. Les charriots « flash », la silver fit, le tapis ezy gain, le vélo cognitif Rev’Lim sont les thérapies non médicamenteuses plébiscitées aujourd’hui. S’il parait évident qu’il ne suffit pas de faire du vélo cognitif, d’entrer dans une salle multisensorielle ou de s’immerger dans une baignoire « balnéo » pour prétendre à des effets des approches non médicamenteuses, il nous parait important de souligner la place de l’humain dans l’usage de ces matériels. La compétence, le savoir-faire, le savoir-être sont autant d’intermédiaires qui accompagneront la personne âgée à vivre une expérience physique, sensoriel ou cognitive qui a du sens. Si comme l’évoquait Steve Jobs, « La créativité consiste à relier les choses », le champ créatif entre la technologie et les approches humaines est ouvert…
BIBLIOGRAPHIE
- ANAUT M., La relation de soin dans le cadre de la résilience, Informations sociales, n°156, 2009/6.
- ENNUYER B., Les malentendus de la dépendance. De l’incapacité au lien social, Paris, Dunod, 2002.
- JACQUES M-H., Repères sociologiques des transitions biographiques de la vieillesse et du vieillissement, in Journée thématique « Le parcours de la personne âgée – Partie 1 Vieillir chez soi », 31 mars 2016, Poitiers.
- LECOMTE J., Les caractéristiques des tuteurs de résilience, Recherche en soins infirmiers, n°82, 2005/3.
- RIBES G., Résilience et vieillissement, Reliance, n°21, 2006/3.
- CAMP C.J. (2012)., Origins of Montessori Programming for Dementia. Non-Pharmacological Therapies in Dementia, 1(2): 163-174
- GORZELLE G.J., KAISER K., CAMP C.J. (2003), Montessori-based training makes a difference for home health workers & their clients. Caring, 22(1):40-2.
- CAMP C.J., SKRAJNER M.J. (2004), Resident-Assisted Montessori Programming (RAMP): training persons with dementia to serve as group activity leaders. The Gerontologist, 44(3):426-431.
- GINESTE Y., PELLISSIER J. – Paris: Armand Collin, 2007 – dunod.com
- BILODEAU G., L’approche Carpe Diem Dans Les Cahiers de la FNADEPA. 2010
- GIL R., POIRIER N., Alzheimer : de carpe diem à la neuropsychologie. Ed Erès 2018
- MUNSCH-ROUX K. & MUNSCH F, La méthode de validation™ de Naomi FEIL : Une pratique thérapeutique innovante en gérontologie ? Dans Gérontologie et société, 2008