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La résilience organisationnelle ou l’art de rebondir
  • Benjamin LE FUSTEC Chargé de recherche et innovation et doctorant en sciences de Gestion
Posté le 9 juin 2020 dans Dossiers
Illustration d’après les « Shadoks » de Jacques ROUXEL

Aujourd’hui, nous vous proposons la découverte d’un concept particulièrement approprié dans le cadre du contexte de l’épidémie de COVID-19. Il est à la base de nombreux écrits en sciences (sociologie, anthropologie, médecine, sciences de gestion…) et inspire l’action en vue d’un développement positif malgré les crises et les moments douloureux.

Ce concept, la résilience organisationnelle (RO), se situe dans la continuité des travaux sur la résilience notamment popularisée par Boris CYRULNIK1 qu’il définit comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se projeter dans l’avenir en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficile, de traumatismes parfois sévères ». En psychologie, c’est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. C’est une combinaison de force intérieure, d’appui de l’extérieur et d’apprentissage à partir de l’expérience acquise.

La RO puise donc ses sources conceptuelles dans la résilience individuelle puisque si l’on part de la définition de Boris CYRULNIK, un collectif, un groupe et donc par extrapolation, une organisation, peut tout à fait être résiliente par elle-même.

Pour autant, cette définition ne suffit pas à la décrire et de nombreux auteurs ont cherché à lui donner une signification et des contours « opérationnalisables ». Ceci, afin de permettre aux organisations de développer des stratégies se reposant sur l’identification de leurs propres leviers de résilience, d’en mesurer leur efficacité et de les développer. KONINCKX et TENEAU2 incrémentent la définition de CYRULNIK en précisant que la RO est « la capacité d’un groupe à éviter des chocs organisationnels en construisant des systèmes d’action et d’interactions continus destinés à préserver les anticipations des différents individus les uns par rapport aux autres. Les facteurs de résilience permettent aux individus de développer de nouvelles solutions, de changer rapidement de rôle, de se méfier d’une trop grande confiance et de maintenir des relations de confiance dans l’organisation ».

Ces facteurs de résilience sont identifiés par Mc MANUS3 dans son travail de thèse qui propose de les classer en trois catégories (la conscience de la situation, la gestion des risques clés, la capacité d’adaptation) qui regroupent chacune 5 sous-facteurs qu’il s’agit d’interroger dans l’organisation pour mesurer la capacité de RO.

Depuis les travaux de Mc MANUS, de nombreux auteurs ont contribué à préciser et densifier l’identification de ces facteurs en rapprochant le concept de RO avec d’autres concepts. C’est le cas notamment de GUCCIARDI et al.4 qui, dans leurs travaux, établissent une relation avec le concept de capital humain. C’est également le cas de PRAYAG et al.5 qui le lient avec le concept de Performance économique. En tant que tels, ces facteurs interrogent à la fois la dimension interne et externe de l’organisation pour réaliser un diagnostic complet de ses parties prenantes et démontrer le renforcement mutuel de ces différents concepts.

Quid de l’après-crise ?

Une crise provoque plusieurs réactions. Une perte d’identité qui, au niveau d’une organisation, se traduit par un repli sur soi et un enfermement pour se protéger, quitte à sacrifier les libertés individuelles au profit de normes sécuritaires restrictives. La crise génère également une recherche de sens et de repères, il est alors question pour les individus de s’interroger sur le « pourquoi » de leur travail ainsi que du « comment ». Est-ce que je réalise un travail qui mérite d’être fait ? A-t-il une utilité ? Ne pourrait-il pas être fait différemment ? Ce travail m’impose-t-il trop d’impacts négatifs sur mon identité, ma conscience, mon éthique ? Tous ces questionnements sont légitimes dans les moments d’instabilité et de doutes.

Dès lors, que nous apprend donc la crise engendrée par l’épidémie de COVID-19 sur la capacité de résilience des organisations sociales et médico-sociales ? Nous pouvons le constater, ces organisations ont durement été touchées par cet épisode et nous déplorons malheureusement que les personnes vulnérables (personnes âgées et handicapées) aient payées un triste et lourd tribut. Malgré cela, loin d’être abattues et de se replier sur elles-mêmes, les organisations ont su déployer des énergies nouvelles, positives et empreintes d’humanité. Ça et là, ont fleuri des actions pour réaffirmer le côté humain de l’accompagnement des personnes âgées, pour ne pas oublier ce qui fonde le fait de prendre soin et donc se rassurer sur son identité et sa raison d’être au travail.

Ces actions ont également permis, dans la mesure du possible, d’éviter ou de restreindre les effets indésirables du confinement (nous l’évoquions dans la newsletter du mois de mai) : l’isolement social, le déconditionnement physique ou encore la désadaptation psychomotrice.

Nous pouvons citer pêle-mêle quelques-unes de ces actions que nous avons pu observer : installation de Skype sur des tablettes, nouvelle organisation des plannings, renforcement des activités et des accompagnements individuels, création d’un lien encore plus fort avec les familles et les résidents pour être relai des nouvelles, embauche de renforts à temps plein, etc. Ce sont autant d’activités de créations ou de reconfigurations du quotidien qui ont démontré la souplesse et la capacité d’adaptation de ces organisations afin de maintenir, coûte que coûte, la cohérence et le sens de l’accompagnement.

Ce n’est pas rien et cela nous pousse à évoquer la suite, de quoi demain sera-t-il fait ? La résilience propose de poursuivre un nouveau développement après la crise. Trois voies majeures s’ouvrent devant nous : un effondrement dans l’incapacité à faire face (scénario noir), un retour à l’état antérieur (scénario gris) ou un rebond vers une réinvention grâce aux acquis de la crise (scénario vert). Que choisissons-nous ?

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

1 CYRULNIK B., Les vilains petits canards (2001), Le murmure des fantômes (2003), Parler d’amour au bord du gouffre (2004), Paris, Odile Jacob.

2 KONINCKX G. et TENEAU G., Résilience Organisationnelle – Rebondir face aux turbulences (2010), Manager RH, De Boeck Supérieur.

3 Mc MANUS S., Organisational resilience in New Zealand (2008), Ph.D. thesis, Univ. of Canterbury, Christchurch, New-Zealand.

4 GUCCIARDI D. F., Crane, M., NTOUMANIS N., PARKER S. K., THØGERSEN‐NTOUMANI C., DUCKER K. J., … & TEMBY P., The emergence of team resilience: A multilevel conceptual model of facilitating factors (2018), Journal of Occupational and Organizational Psychology, 91(4), 729-768.

5 PRAYAG G., CHOWDHURY M., SPECTOR S. & ORCHISTON C., Organizational resilience and financial performance (2018). Annals of Tourism Research, 73(C), 193-196.