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Les effets indésirables du confinement chez la personne âgée
  • Nicolas ROUMAGNE Co-Directeur de ReSanté-Vous
  • Fanny SOUM-POUYALET Chargée de Recherche & Innovation, ergothérapeute, docteure en anthropologie
  • Benjamin LE FUSTEC Chargé de Recherche & Innovation, Doctorant en Sciences de Gestion
  • Valentin BARBADE Responsable d'antenne 79, Professionnel en Activités Physiques Adaptées
  • Guy LE CHARPENTIER Co-Directeur de ReSanté-Vous, ingénieur en réadaptation
Posté le 7 mai 2020 dans Dossiers

« Être résilient c’est aller vers un nouveau développement. » Cette phrase de Boris CYRULNIK, neuropsychiatre éthologue célèbre pour avoir notamment contribué à populariser le concept de résilience en 1999, illustre, pour nous, l’essence même de cet argumentaire en faveur d’un accompagnement global de la personne et ce, même en période de crise.

Le concept de résilience peut se définir comme le fait de poursuivre un développement après un traumatisme. Dans un entretien pour We Demain en date du 26 mars 2020, Boris CYRULNIK propose trois clés de « rebond » pour se développer après un traumatisme ou une crise : l’action, l’affection et la réflexion. Comment ces rebonds pourraient être traduits en EHPAD ou en gériatrie en cette période singulière ?

En cette période de pandémie et plus particulièrement de confinement, l’enjeu a été dans un premier temps de sécuriser les personnes en apportant toutes les mesures d’hygiène indispensables pour éviter l’entrée ou la propagation du COVID-19. Le 28 mars, le Ministre de la Santé Olivier VÉRAN demandait « aux EHPAD de se préparer à aller vers un isolement individuel de chaque résident dans les chambres ». Cette application a eu lieu dans une grande majorité d’EHPAD dès début avril. Plus d’un mois après ces mesures, nous vous proposons notre analyse concernant la situation actuelle et les besoins essentiels qui en découlent.

Observation de terrain et analyse

Grâce à notre intervention quotidienne dans 24 EHPAD depuis le début de cette pandémie, nous avons pu observer et analyser les effets secondaires de ce confinement. En premier lieu, évoquons l’isolement social comme la conséquence la plus prégnante. Le confinement s’est soldé par une réduction drastique des relations sociales avec la famille, les soignants et surtout les autres résidents. Pour ceux qui bénéficiaient d’une mobilité suffisante, cela signe également la fin des sorties dans le quartier, si important pour garder contact avec le monde. À cette facture épidémique, se surajoute celle de la fracture numérique qui contrarie les relations à distance avec les proches par visiophonie ou réseaux sociaux. Cette nouvelle organisation a mis en exergue la place de la relation avec la famille. Alors que les files d’attente s’accumulent pour le rendez-vous familial en visiophonie, certains n’auront ni rendez-vous ni appel.

Les interactions sociales des résidents aujourd’hui se trouvent réduites au passage des soignants dans cette chambre dont ils ne peuvent sortir. Or, ces passages s’avèrent d’autant plus courts que l’effectif s’est réduit du fait des arrêts maladie du personnel ou des contraintes supplémentaires liées à la prévention du virus. Ainsi s’enclenche le glissement rapide de la distanciation sociale vers l’isolement social. « L’isolement social est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, du fait de relations durablement insuffisantes dans leur nombre ou leur qualité, est en situation de souffrance et de danger » (Serres, 2017 : 16).
À ce titre, l’isolement social est bien distinct du sentiment de solitude en ce qu’il constitue une donnée objective et mesurable liée à la diminution du nombre et de la qualité des interactions sociales d’une personne. Or, ces interactions s’avèrent essentielles en ce qu’elles constituent le terreau à partir duquel va s’épanouir l’être humain. Boris CYRULNIK présente même l’affection comme un pilier de résilience.

D’autre part, nous pouvons évoquer la sédentarité et le déconditionnement comme une deuxième catégorie d’effets secondaires liés au confinement. Avec un périmètre de marche limité à quelques mètres, il paraissait évident que la limite d’une activité physique quotidienne aurait des conséquences délétères. À titre de comparaison, l’inactivité physique serait responsable de 10 % des décès évitables en Europe (soit environ 5,3 millions de décès dans le monde chaque année) (Lee et al., 2012; World Health Organization, 2010). Aussi, une personne âgée perd environ 10 à 15 % de sa force musculaire par semaine d’immobilisation, 30 à 45 % en 3 semaines de lit (Gineste & Pellissier, 2007). Cette force musculaire est absolument nécessaire au quotidien pour la marche bien sûr mais aussi pour les transferts, se lever de sa chaise au restaurant, réaliser une activité dans le jardin, faire son lit… Autant d’activités qui vont se trouver perturbées dans les jours à venir, accélérant ainsi la dépendance physique des personnes. Un article du Figaro de janvier 2018 s’intitulait : « La sédentarité : un serial killer qui cache bien son jeu » (Le Figaro 15/01/18, Szapiro-Manoukian, 2018). Nous devrons être attentifs à ce que ce « serial killer » n’envahissent pas les EHPAD.

Enfin, nous observons dans ce confinement des personnes en chambre, un troisième risque : la désadaptation psychomotrice. Être confiné implique pour chacun d’entre nous des réajustements et aménagements nécessaires de nos habitudes quotidiennes. Pour les personnes âgées vivant en institution, les marges d’adaptation sont d’autant plus limitées qu’elles n’ont que peu de prise sur leur contexte de vie et l’organisation des modalités de celle-ci. Cette situation est susceptible d’amener la personne à éprouver les limites de ses ressources adaptatives et l’expose à une « désafférentation » (privation de stimulations sensorielles, affectives et sociales) aux effets délétères (Cordeiro, 1993).

Qu’il s’agisse de la personne habituée à marcher avec son kinésithérapeute, à celle qui participe régulièrement aux activités d’animation ou à celles qui, tout simplement, se rend à la salle à manger pour manger et converser avec d’autres résidents : toutes font face à l’impératif de réinventer leur quotidien. Or, face au manque de potentialités offertes par le contexte du confinement en chambre, beaucoup se retrouvent confrontées au vide et à l’impossibilité de réinventer sa vie autour de temps clés stimulants. Cette désafférentation est lourde de conséquences car elle fait le lit de la désadaptation psychomotrice. Le syndrome de désadaptation psychomotrice (SDPM) est défini comme une décompensation de la fonction posturale, de la marche et des automatismes psychomoteurs (Gaudet, 1986 ; Blain, 2009). Il se traduit par quatre types de troubles : troubles de la posture, altérations de la marche, anomalies neurologiques et troubles psychocomportementaux.

La survenue de la désadaptation psychomotrice est associée à trois éléments cumulatifs : le vieillissement, les maladies chroniques (atteintes dégénératives ou vasculaires) et un facteur aigu (Blain, 2009). Ce « facteur aigu » peut être de nature variée : il peut s’agir d’un évènement traumatisant (chute), d’un stress physique ou psychologique (déshydratation, deuil) mais également d’un manque de sollicitation liée à un alitement prolongé (Manckoundia, 2007). En somme, ce dernier facteur regroupe tout ce qui est susceptible de remettre en question les capacités d’adaptation et l’équilibre d’une personne fragilisée par le vieillissement et la/les maladie(s).
À ce titre, le confinement et ses conséquences (manque de sollicitation sociale, physique, traumatisme lié par la situation…) constituent un risque majeur de déstabilisation et de survenue du SDPM. Or, le SDPM est aujourd’hui considéré comme une urgence gériatrique pouvant dégénérer en syndrome de glissement, en grabatisation, jusqu’au décès de la personne concernée (Bloch, 2015).

En conclusion, l’isolement social, la désadaptation psychomotrice et la sédentarité sont les conséquences majeures de ce confinement. Les soignants du quotidien sont les acteurs majeurs de cet évènement et font preuve de courage, de solidarité et de professionnalisme. Ils et elles tentent de lutter contre cette crise par la réponse au plus urgent, le besoin de sécurité, ce qui est bien légitime. Désormais, plus d’un mois après ce confinement en chambre, et pour en éviter les effets secondaires que nous décrivons, penchons-nous impérativement sur la relation aux autres et sur la mise en activité comme les chantiers majeurs à lancer, que ce soit en EHPAD ou à domicile.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  • BLAIN H., GUERDOUX E., FERNANDEZ M., BLAIN A. (2009), L’inhibition psychomotrice du sujet âgé : proposition d’un nouveau cadre syndromique, NPG, Volume 9, n° 50 pages 85-94, Doi : 10.1016/j.npg.2008.12.002.
  • BLOCH F. (2015), Les complications non traumatiques des chutes : des conséquences trop souvent négligées chez la personne âgée, NPG, Volume 15, n° 88, pages 188-190, Doi : 10.1016/j.npg.2015.02.001.
  • CORDEIRO J.D. (1993), Le monde délirant de la personne âgée, in Mantangero J. (dir) Psychologie de la personne âgée, PUF, Paris, pp 219-234.
  • CYRULNIK, B. (1999), Un merveilleux malheur, Odile JACOB.