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L’eau : un soutien à la dynamique psychocorporelle en période de confinement
  • Sophie VERSTAVEL Psychomotricienne, Responsable de l'antenne ReSanté-Vous en Charente-Maritime
Posté le 11 octobre 2021 dans Articles

« L’eau à travers les âges, a toujours été une source de guérison et reste très chargée symboliquement. »1 (Dorota CHADZYNSKI)

Déjà du temps de la médecine antique grecque, le bain offrait une double fonction : bain de propreté, qui se prenait dans les cuves plates, et bain thérapeutique par immersion. Les médecins prêtres de l’époque, soignaient la maladie visible et en même temps le trouble psychique en ordonnant aux malades de laver leur peau. « Ils associaient déjà peau et psychisme. »2

Aujourd’hui on parle d’enveloppe psychocorporelle, comme une membrane qui maintient les parties du corps ensemble mais également les sensations, les représentations, les affects, les pensées et assure ainsi un sentiment d’unité et d’intégrité de l’être. Cette enveloppe est en constante évolution et remaniement au gré des expériences de vie. Le vieillissement, les pathologies neurologiques, neuro-dégénératives entravant les mouvements peuvent fragiliser les limites et la contenance de cette enveloppe.

Mouvement et dynamique psycho affective

La crise sanitaire, avec l’entrée dans un quotidien de distanciation physique et de confinement, nous a fait réaliser comme l’évoque Aleksandra PITTERI, à quel point le déplacement géographique s’inscrit au cœur de l’humanité et reste en lien étroit avec le fonctionnement psycho affectif de tout un chacun. C’est bien à travers des interactions sensori-motrices avec son environnement que l’enfant crée les premières mises en forme des perceptions corporelles, tel que le décrit, Geneviève HAAG3.

«  La vie psychique se fonde sur le corps en mouvement et la rencontre des objets investis que nous intérioriserons pour devenir un être humain à part. C’est sur nos déplacements organiques, la marche, la danse, les rencontres corporelles que nos pensées se déploient. »4 (Aleksandra PITTERI)

Lorsque, brusquement, l’épidémie de Covid 19 pousse à la mise en place de mesures inédites entraînant une restriction du déplacement dans l’espace, avec les mesures de confinement notamment dans les EHPAD, les conséquences directes sont un appauvrissement de la richesse des mouvements. Comme l’évoque Aleksandra PITTERI, avec l’immobilisation physique la structure du fonctionnement psycho affectif pourrait se figer en se centrant dans un contenant interne.

Cette contrainte d’immobilisation superposant espace interne et externe, peut générer un désir de retrouver une enveloppe entourante.

« Nous sommes nombreux, en cette période, à être pris d’envies inopinées « d’entourance », comme celui de prendre un bain. » (Aleksandra PITTERI)

L’eau : « toucher sans toucher »

L’eau, ce liquide qui prend la forme du corps quand il est immergé, est comme une seconde peau transfigurant un contact peau à peau selon P. FERNANDEZ.

Pour tenter de pallier, à ce manque de contact et développer des temps d’apaisement, de réconfort et de bien-être, nous avons travaillé avec deux EHPAD de l’association TREMÄ au développement avec les résidents et l’équipe d’un espace bien-être avec la médiation aquatique, comme une alternative aux limitations de contacts et de l’impact de l’isolement, que la situation pandémie a pu entraîner par les règles sanitaires mises en place.

L’isolement, la diminution de la mobilité a réduit les opportunités de sentir son corps et de nourrir sa conscience corporelle.

Le milieu aquatique invite à se recentrer et à bouger : contenant, facilitant, limitant mais aussi parfois déstabilisant.

Le corps dans l’eau, par la poussée d’Archimède, semble plus léger. Les mouvements sont facilités, permettant d’expérimenter, de retrouver des sensations corporelles ne pouvant plus être vécues dans le milieu aérien.

La chaleur de l’eau, lorsqu’elle s’équilibre avec celle de la surface de la peau (vers 34-35°C), a un effet sécurisant. Elle favorise un relâchement musculaire, en activant la circulation sanguine, et la production d’endorphine qui vont atténuer les douleurs physiques mais également favoriser un relâchement tonico-émotionnel, selon le vécu antérieur de chacun.

L’eau permet un toucher sans contact peau à peau, les ondes générées par les mouvements ou le bouillonnement vont entraîner une stimulation cutanée sur l’ensemble des parties du corps immergées favorisant la prise de conscience des limites du corps mais aussi stimulant l’intégration des perceptions sensorielles : chaud, froid, humide, sec… Ceci peut générer un vécu de « corps plaisir » renarcissisant. Cependant, il peut également parfois entrer en résonance avec un vécu antérieur plus difficile.

La vie aérienne a nécessité une longue adaptation pour le nourrisson, ces mêmes difficultés d’adaptation à l’environnement aquatique peuvent être toutes aussi présentes à l’âge adulte. La proposition de médiation aquatique est une « démarche qui prend en compte la personne dans sa complexité »5. La prise en compte du vécu, de l’attrait ou de l’appréhension de l’eau pour chaque résident est primordiale et l’attention portée au vécu exprimé verbalement et corporellement également.

Se mettre à l’écoute du dialogue tonico-émotionnel en se rendant disponible au niveau psychique et corporel pour ressentir ce qu’exprime la personne est un élément fondamental.

Pour Catherine Potel : « Choisir l’eau comme élément de base, c’est mettre l’accent sur les signes du corps et donc s’engager dans les voies de la communication non verbal.»6 C’est aussi ramener un regard, un échange de proximité dans un contexte où la distanciation physique s’est installée.

Retour d’expériences

Dans chaque établissement, l’espace de bain à évolué avec l’implication, l’observation, les retours d’expérimentation des résidents et des professionnels, pour parfaire une ambiance sereine et contenante. Les sources sensorielles y sont ajustables (lumière, odeurs…) pour permettre de moduler les informations en fonction des souhaits des personnes et ainsi favoriser un environnement sécure.

Madame J. rencontrée au détour d’un couloir sur le bas de sa porte, demande à voir le futur lieu. Elle accepte d’y faire un premier essai pour donner son avis et aider aux ajustements nécessaires, s’il y en a. Dès ses douleurs apaisées et les sensations de bien-être exprimées, elle demande rapidement des séances régulières. Ces moments semblent lui offrir une bulle sensori-motrice, d’intimité et d’expression en dehors de l’espace restreint et contraint de sa chambre, qu’elle partage avec son époux. Au fur et à mesure, l’aisance corporelle, la réduction des douleurs et l’amélioration du rythme de marche poste séance sont observables. Parallèlement, à la dynamique corporelle, la mise en mouvement des idées, des désirs et des projections semble s’activer. Elle s’implique dans l’accueil et la présentation des séances de balnéo auprès des membres de l’équipe souhaitant la découvrir. Si Mme J. ne pouvait, il y a encore quelques semaines, se déplacer hors des murs de l’établissement car limité par le contexte sanitaire, elle a pu s’y projeter en demandant par exemple, à ses proches d’apporter ou d’acheter des accessoires et vêtements pour ses séances.

Si la limitation brutale des possibilités de déplacement liée à la situation sanitaire a pu impacter la dynamique psychoaffective des résidents, la proposition d’investir un nouveau lieu dans l’établissement, répondant aux exigences sanitaires d’individualité, de distanciation a peut-être permis d’en limiter les effets délétères sur la cristallisation des pensées, ces lieux propices à la relation ont permis d’offrir à plus d’une quinzaine de résidents et une dizaine de membres de l’équipe un moment privilégié inscrit dans une relation de confiance particulièrement contenante. La mobilisation de l’équipe et des résidents dans ce projet a certainement permis une ouverture à la réflexion et une mobilisation de la pensée autour des valeurs et du bien-être, dans un contexte où la durée de l’épidémie et l’installation de la fatigue a pu « fragiliser la culture de l’accompagnement, le lien social ainsi que le respect des droits et libertés des aînés. » Fabrice GZIL

NOTES

1 et 2 POTEL, C. et al.(2000). Psychomotricité entre Théorie et pratique. pp 161-172.

3 HAAG, G. (2002). L’acte création/représentation de formes dans le jeu de la transformation, Revue française de psychanalyse. pp. 1779-1787.

4 « Le mouvement physique et la mobilité psychique lors du confinement
Les consultations en ligne dans le maintien de la dynamique psychoaffective », Recherches & éducations [En ligne], HS | Juillet 2020

5 FERNANDEZ P., Au-delà du principe d’Archimède L’expérience du corps aquatique, Évolutions psychomotrices Psych-eau-moteur, N°59, 2003.

6 POTEL C., Le corps et l’eau, Erès, 2009.

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