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Pratiques non médicamenteuses & maladie d’Alzheimer : état des lieux et partage d’expériences
  • Guy LE CHARPENTIER Co-Directeur de ReSanté-Vous
  • Nicolas ROUMAGNE Co-Directeur de ReSanté-Vous
Posté le 19 janvier 2022 dans Dossiers

Il n’existe, à l’heure actuelle, aucun traitement médicamenteux capable de guérir la maladie d’Alzheimer ou de ralentir significativement son évolution. Dans un contexte plus large d’augmentation des maladies neuro-évolutives, notamment liées au vieillissement, des alternatives émergent. En dehors des thérapies médicamenteuses, il existe de nombreux types d’accompagnement qui tendent à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. TNM1, TNMP2, INM3, ANM4, MCA5, Philosophies de soin, formations des aidants vers une approche centrée sur la personne, programmes d’activités préventives, activités thérapeutiques variées, nombreuses sont les réponses non médicamenteuses proposées aujourd’hui. Ces pratiques visent à préserver le plus longtemps possible l’autonomie des malades, à atténuer les troubles du comportement et à soutenir les aidants.

L’été dernier la fondation Médéric Alzheimer a publié un nouveau guide pratique dédié aux interventions non médicamenteuses (INM). Ce document de référence a été rédigé en collaboration avec des professionnels, des universitaires, des personnes malades et des aidants. Nous vous proposons à travers ce dossier de faire un focus sur ce guide, ainsi qu’une ouverture sur d’autres pratiques non-médicamenteuses qui font écho au sein de notre équipe transdisciplinaire ReSanté-Vous.

La prévention et les approches non médicamenteuses gagnent du terrain

La prévention fait de plus en plus consensus et sa déclinaison selon les trois niveaux – primaire, secondaire et tertiaire – permet de positionner les personnes dans un rôle d’acteur de sa santé tout au long de sa vie. La prévention se définit comme l’ensemble des actions visant à éviter l’apparition, le développement ou l’aggravation de maladies ou d’incapacités. Sont classiquement distinguées :

  • la prévention primaire qui agit en amont de la maladie
  • la prévention secondaire qui vise à diminuer la prévalence d’une maladie et recouvre les actes destinés à agir au tout début de l’apparition du trouble ou de la pathologie afin de s’opposer à son évolution ou encore pour faire disparaître les facteurs de risque.
  • et la prévention tertiaire qui intervient à un stade où il importe de diminuer la prévalence des incapacités chroniques ou des récidives dans une population et de réduire les complications et invalidités consécutives à la maladie.

Pour la maladie d’Alzheimer, les chercheurs ont identifié plusieurs mesures qui pourraient aboutir à une prévention efficace. Une étude internationale publiée dans le Lancet en 2017 indique que 35 % des cas de troubles cognitifs du type Alzheimer sont liés à des facteurs de risques sur lesquels la prévention pourrait jouer un rôle et contribuer, in fine, à réduire le nombre de nouveaux cas de maladie d’Alzheimer dans la population6. Dans son avis de décembre 2017 « Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées », le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) recommande de sensibiliser, y compris les professionnels de santé, à la possibilité de mettre en œuvre des actions préventives quel que soit l’âge. Ainsi pour prévenir le développement de la maladie d’Alzheimer, quelques habitudes quotidiennes sont encouragées et notamment la pratique régulière d’une activité physique réputée ainsi que d’activités stimulantes intellectuellement susceptibles d’augmenter la réserve cognitive. Il n’y a pas d’activité « type » à recommander, les activités les meilleures seront celles qui seront susceptibles d’intéresser le plus la personne et donc le plus susceptibles d’être effectuées chaque jour et pérennisées. Ceci doit aller de pair avec toutes les autres modifications de l’environnement susceptibles de favoriser le lien social et d’encourager « de bonnes raisons de se lever le matin ».

Pour accompagner cette démarche préventive, la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015 a fait émerger la conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées. Cette instance pilotée par la CNSA a pour objectif de coordonner dans chaque département les actions de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées permettant ainsi l’augmentation d’action de prévention primaire de proximité.

D’autre part, depuis 2003, l’HAS recommande le recours aux approches non médicamenteuses pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Néanmoins la description dans ce document reste vague et présente des pratiques multiples (par exemple aromathérapie, musique, relaxation, sorties…). Réunir sous ce vocable toutes les pratiques n’usant pas d’éléments médicamenteux limite sa définition à un abord descriptif et laisse en réalité dans l’ombre les fondements clinico-théoriques de cette approche. Ces dernières relèvent d’une approche globale et écologique de la personne âgée au croisement des sciences médicales, humaines et sociales. Dans ce sens, différents acteurs agissent en faveur de cette clarification et de cette reconnaissance.

Une proposition de catégorisation des médecines complémentaires et alternatives (MCA)

Véronique SUISSA (psychologue clinicienne), Serge GUÉRIN (sociologue), le Dr Philippe DE NORMANDIE (Chirurgien orthopédique, directeur des relations santé de MNH Group) ont récemment contribué à une proposition de « catégorisation » des médecines complémentaires et alternatives (MCA). L’élaboration de la définition s’est appuyée sur l’analyse de 62 publications francophones issues des sciences médicales et pharmacologiques, des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences politiques et juridiques. La mise en œuvre de la catégorisation a reposé sur l’analyse de 9 classifications nationales et internationales. Après avoir synthétisé l’ensemble des corpus, les auteurs ont procédé à une analyse critique permettant de mettre en lumière les lignes de force et les limites des différentes définitions et classifications. Ils ont ensuite répertorié les principaux éléments structurants des MCA permettant de les conceptualiser (définition) et de les délimiter (catégorisation). L’analyse des publications apporte des repères théoriques structurants mais pointe la logique de segmentation des approches conceptuelles et le cloisonnement de la pensée qui en découle. L’analyse des classifications montre une tentative utile d’objectivation de ces recours mais révèle la difficulté d’établir une délimitation hermétique des pratiques.

Ces derniers proposent une classification plutôt centrée sur les « usages et usagers » s’appuyant sur six critères de classification rappelant les questions à se poser :

  1. le statut de la pratique (est-elle légalisée et/ou intégrée dans le système de soins ?),
  2. la formation du praticien (est-elle reconnue ?),
  3. l’usage (complémentaire ou alternatif ?),
  4. la visée du soin (guérir ou renforcer la qualité de vie ?),
  5. la présence de risques (interactions médicamenteuses, manque de formation du praticien, etc.)
  6. le risque de dérives (conceptions non fondées ou méthodes non éprouvées impactant négativement la personne ou une emprise mentale).

Ainsi, un praticien dispensant une pratique légalisée (critère 1), formé par un diplôme universitaire (critère 2), dans le cadre d’un usage complémentaire (critère 3) comporte vraisemblablement peu de risques selon Véronique SUISSA.

Ce collectif a créé l’Agence-MCA comme un lieu d’expertise portant sur les Médecines Complémentaires et Alternatives, et plus largement sur le soin relationnel et non médicamenteux. Elle s’inscrit dans une démarche en faveur de la santé durable dont l’objet est de « permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être de tous et à tout âge » (OMS). Cet espace de réflexion, d’action et d’information a pour but de structurer le champ des MCA, soutenir les pratiques de prévention, promouvoir l’attention à la qualité de vie des personnes, lutter contre toutes les formes de dérives en santé.

Pour en savoir plus : www.agencemca.fr

Focus sur le guide INTERVENTIONS NON MÉDICAMENTEUSES ET MALADIE D’ALZHEIMER

La Fondation Médéric Alzheimer a mis en ligne, le 6 juillet dernier, un guide pratique dans lequel elle présente dix interventions non médicamenteuses (cf. liste ci-dessous). Destiné aux professionnels et au grand public dans une version simplifiée sous forme de fiches pratiques, il a pour objectif de mieux les faire connaître, les comprendre et les mettre en œuvre. Ce guide, préfacé par le Pr Grégory NINOT7, commence par poser une définition de ce que sont les Interventions Non Médicamenteuses et du cadre scientifique rigoureux et établi qu’elles nécessitent. Comme le précise le Pr NINOT « Des chercheurs travaillent à la reconnaissance d’un cadre consensuel d’évaluation des pratiques non médicamenteuses comme c’est le cas pour le médicament depuis 50 ans. Si ces pratiques ne peuvent pas être évaluées exactement comme des médicaments compte tenu de leur particularité, une démarche rigoureuse de validation, de mise sur le marché et de surveillance est possible ».

Dans cet esprit, ce document présente 10 interventions non médicamenteuses ayant fait preuve de leur efficacité et fréquemment mises en œuvre dans les établissements d’accueil et d’accompagnement : activités physiques adaptées, art-thérapie, interventions assistées par l’animal, interventions basées sur la danse, musicothérapie, réhabilitation et stimulation cognitive, stimulation multisensorielle, réminiscence et hortithérapie.

Télécharger le guide : Interventions non médicamenteuses et maladie d’Alzheimer

Ce document précise qu’une INM ciblée sur la maladie d’Alzheimer n’est pas une discipline (psychologie, kinésithérapie, ergonomie…), une approche (psychosociale, corporelle, nutritionnelle…) ou un composant (bracelet podomètre, posture de yoga, feuille de ginko biloba…). Il s’agit bien d’un programme visant un objectif de santé principal associant différentes techniques qui pourra être proposé et/ou prescrit lors d’une séquence spécifique du parcours d’une personne vivant avec la maladie d’Alzheimer. Un bénéfice sur la santé est ainsi attendu conformément aux résultats de l’étude publiée. Le choix de l’INM se fait avec le participant et sa mise en œuvre répond à toutes les conditions de sécurité, d’alliance thérapeutique, d’éthique professionnelle, de traçabilité et d’ajustement contextuel. Cette pratique fait l’objet d’une évaluation initiale et finale.

Quelques illustrations cliniques au sein de notre équipe ReSanté-Vous


Il y a bientôt 15 ans nous avons créé une équipe pluridisciplinaire mobile chargée de promouvoir un accompagnement non médicamenteux visant à favoriser l’autonomie et l’engagement des personnes incluant une démarche d’évaluation. Cette équipe transdisciplinaire est composée d’ergothérapeutes, de psychomotriciens, d’art-thérapeutes, de professionnels en Activités Physiques Adaptées, d’une psychologue et de trois chercheurs en gérontologie. Chaque semaine ce collectif partage des temps de réflexion sur les pratiques et développe des accompagnements non médicamenteux qu’elle assure dans une centaine d’EHPAD de la Nouvelle-Aquitaine.

À notre échelle nous avons contribué à alimenter la littérature scientifique sur la question des activités physiques auprès des personnes ayant des troubles cognitifs avec la publication en 2010 d’un article dans la revue Dementia & geriatric disorders, sur les effets d’un programme d’entraînement physique sur les fonctions cognitives et l’efficacité de la marche chez les personnes âgées atteintes de démence. Depuis nous avons mené de nombreux programmes de prévention de la perte d’autonomie chez des personnes ayant des troubles cognitifs en s’appuyant sur les activités physiques adaptées, l’art-thérapie, la réminiscence mais surtout sur une réflexion centrée sur la personne.

Pour illustrer notre démarche, voici en exemple une vidéo présentant un programme d’activité physique adaptée visant à prévenir la chute et encourager le lien social auprès d’un public en EHPAD autour de la pratique du Basket-ball. Cette démarche précise des objectifs de santé, fait l’objet d’une démarche et d’une évaluation pluridisciplinaire entre l’équipe soignante de l’EHPAD et le professionnel en activités physiques adaptées et inclut les résidents dans le choix d’une activité porteuse de sens.

Dans cet accompagnement, nous cherchons à opérer une évaluation de paramètres posturaux, cognitifs mais aussi psycho-sociaux. Car il nous semble certes important d’évaluer l’impact sur des fonctions motrices et cognitives de nos activités mais également de mesurer l’impact collatéral que ces ateliers peuvent avoir auprès des familles et des professionnel.le.s.

Pour faire écho à ce guide, nous vous partageons également un lien vers un article rédigé il y a quelques années sur notre blog par Virginie CHAUDAT, art-thérapeute au sein de notre équipe depuis une dizaine d’années. Ce dernier présente une démarche thérapeutique exploitant le potentiel créatif de la personne pouvant « mettre en mouvement le corps et l’esprit » dans une démarche épanouissante s’appuyant sur la grande diversité qu’offre les activités artistiques.

Lire l’article : L’art-thérapie s’adapte au rythme de la personne

Fort de notre expérience sur les approches non médicamenteuses nous avons intégré les CPOM des EHPAD du groupe AFP pour « dynamiser l’approche [… thérapies Non-Médicamenteuses], aider à sa compréhension, et participer à l’analyse et aux choix thérapeutiques. » dixit le Pr Pierre JEANDEL dans une interview réalisée en 2021 pour notre blog.

Lire l’article : TNMP : une méthode innovante au sein du groupe AFP

En conclusion ou plutôt en ouverture …

Les approches non-médicamenteuses sont dénommées par la négation mais ne s’opposent pas pour autant aux thérapies médicamenteuses. Elles s’inscrivent d’ailleurs dans le même sillon de cet objectif universel de santé. Leur grande diversité rend ardue leur classification mais le jeu en vaut la chandelle pour éclairer les personnes malades et leur proche dans cette quête. Dans le cas de la Maladie d’Alzheimer les ANM offrent un pouvoir d’agir aux personnes malades ainsi qu’à leur entourage en leur proposant des alternatives. Pour cela il apparaît important de soigner la qualité de la démarche tant sur le choix d’intervenants qualifiés que sur la méthodologie d’intervention.

Il nous paraît primordial auprès de ce public de s’inscrire dans une démarche que le sociologue médical Aaron ANTONOVSKY qualifie de salutogenèse. Cette approche se concentre sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être (physique, mental, social, etc.), plutôt que d’étudier les causes de la maladie (pathogenèse). Ainsi sans basculer dans “l’évaluationite aigüe » nous pensons nécessaire de co-construire d’une part une démarche thérapeutique s’appuyant sur les capacités préservées et les choix de la personne; et d’autre d’autre d’en mesurer l’impact vis-à-vis d’objectifs de santé qui peuvent être fonctionnels mais également psycho-sociaux.

NOTES

1 TNM : Thérapies Non Médicamenteuses.

2 TNMP : Thérapies Non Médicamenteuses Personnalisées.

3 INM : Intervention Non Médicamenteuses

4 ANM : Approches Non Médicamenteuses.

5 MCA : Médecine Complémentaires et Alternatives.

6 Dementia prevention, intervention, and care, The Lancet Commissions, 2017 : 390(10113), P2673-2734

7 Professeur à l’Université de Montpellier et fondateur et directeur de la Plateforme universitaire CEPS (Plateforme universitaire Collaborative d’Évaluation des programmes de Prévention et de Soins de support) : https://plateformeceps.www.univ-montp3.fr/fr/page-1

8 Gilles KEMOUN, Marie THIBAUD, Nicolas ROUMAGNE, Pierre CARETTE, Cédric ALBINET, et al.. Effects of a Physical Training Programme on Cognitive Function and Walking Efficiency in Elderly Persons with Dementia. Dementia and Geriatric Cognitive Disorders, Karger, 2010, 29 (2), pp.109-114. ⟨10.1159/000272435⟩. ⟨hal-02109862⟩

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