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Quand la COVID questionne l’éthique
  • Mélissa HERVAUD Psychologue à ReSanté-Vous
  • Nicolas ROUMAGNE Co-Directeur de ReSanté-Vous
Posté le 16 mars 2021 dans Dossiers

Entre isolement social et désadaptation psychomotrice, la COVID a engendré son lots d’effets secondaires. Les mesures exceptionnelles mises en œuvre ne doivent pas nous faire oublier l’importance des relations sociales et des habitudes de vie de chacun. Retour sur 3 points de vigilance pour ne pas perdre de vue notre envie de vivre, tout simplement.

Prévenir l’isolement social

Depuis un an, on peut voir des résidents en grande souffrance d’avoir perdu la liberté d’aller et venir et de voir du monde. Les conséquences sur leur santé mentale sont prégnantes, avec pour certains beaucoup d’incompréhension et de colère, et pour d’autres, l’adhésion au repli qu’on leur impose. Mais ce repli a des conséquences, le manque de stimulation relationnelle, tend à majorer les troubles cognitifs et les symptômes anxio-dépressifs.

On peut évoquer dans ce contexte, l’exemple d’une résidente souffrant de troubles cognitifs qualifiés de modérément sévères. Avant, pour faciliter la prise de repères, ses journées étaient ritualisées par l’équipe de soin et sa famille. Une fois prête le matin, elle était accompagnée dans les espaces communs. Puis on l’accompagnait au repas où elle échangeait quelques mots avec les personnes de sa table et elle passait une grande partie de ses après-midi avec sa fille. Dans cette organisation, les troubles étaient présents mais secondaires. Avec la crise sanitaire, on met en place le confinement en chambre, plus de temps commun avec les autres résidents, plus de visites de sa fille, à l’exception des 45 min hebdomadaire derrière un plexiglass ou des passages derrière la vitre. Aux transmissions, on évoque que les troubles se majorent, qu’elle est plus perdue.

Puis la Covid entre dans l’EHPAD, le confinement en chambre est permanent, les soignants sont débordés par les nouvelles règles sanitaires de protection et tous les affects que cette situation génère. Après deux semaines, sa fille appelle très inquiète depuis plusieurs jours lorsqu’elle passe voir sa mère derrière la fenêtre, elle trouve cette dernière ramassée sur son lit en position fœtale. Elle ne sait plus si l’on est le jour ou la nuit, s’alimente très peu et perd de plus en plus ses mots.

Avec des aménagements, des passages réguliers de la psychologue, des animatrices, des balades en extérieures, cette dame ira mieux mais cette situation reflète bien les conséquences catastrophiques que l’isolement social peut avoir sur des personnes déjà fragilisées.

Prévenir la désadaptation psychomotrice

La contention en chambre ou dans un couloir a un effet sur la condition physique et psychologique de la personne. Cela se remarque déjà dans les EHPAD : malgré l’allègement des mesures de restriction des sorties, de nombreux résidents ne sortent plus de leur chambre car ils ont désappris à le faire au profit du « rester en chambre » répété depuis maintenant presqu’un an. Pour certains, la perte d’autonomie est flagrante, la marche est plus restreinte puisqu’ils ne vont même plus jusqu’en salle à manger le midi… La sédentarité et le déconditionnement sont donc en quelque sorte des effets secondaires liés au confinement.

Une étude a révélé que l’inactivité physique serait responsable de 10 % des décès évitables en Europe (soit environ 5,3 millions de décès dans le monde chaque année) (Lee et al., 2012; World Health Organization, 2010). Sachant qu’une personne âgée perd environ 10 à 15 % de sa force musculaire par semaine d’immobilisation et 30 à 45 % en 3 semaines de lit, on imagine les effets dévastateurs d’un tel repli sur elle-même. Cette force musculaire est absolument nécessaire au quotidien pour la marche bien sûr mais aussi pour les transferts, se lever de sa chaise au restaurant, réaliser une activité dans le jardin, faire son lit… Autant d’activités qui continuent à être perturbées et accélèrent ainsi la dépendance physique de ces personnes.

D’un autre côté, les soignants, imprégnés de la notion de risque des sorties ou des contacts, peuvent douter des sollicitations à envisager. La crise sanitaire a provoqué un changement important de paradigme. Nous sommes passés du maintien de l’autonomie, reconnaissant le besoin essentiel de stimulation, à la protection, au risque d’isoler ou de sédentariser. De nouvelles habitudes ont été prises qui ressortent parfois dans le discours des soignants : « si on l’emmène [dans les espaces communs], elle ne voudra plus rentrer. » La norme semble parfois être devenue de « rester en chambre », alors qu’il y a un an, nous aurions tout fait pour favoriser l’investissement des lieux communs et de l’établissement sur l’extérieur.

Face au manque de potentialités offertes par le contexte du confinement en chambre, beaucoup se retrouvent confrontées au vide et à l’impossibilité de réinventer sa vie autour de temps clés stimulants.

Des mesures exceptionnelles mais jusqu’à quand ?

L’épidémie de COVID-19 nous obligent tous, actuellement, à penser nos interactions et nos actions avec un prisme nouveau, celui de la contrainte sanitaire. Les EHPAD ont bien entendu été au premier plan de cette tendance au renforcement des mesures hygiénistes, dans une logique de protection, certes, mais qui se fait parfois au détriment d’un accompagnement humain. Comment favoriser l’échange convivial et chaleureux quand les seules interactions de la journée se font derrière un masque qui cache les émotions et couvre les voix ?

Depuis un moment, de nombreux établissements se tournaient vers l’extérieur, ouvrant leurs portes aux artistes, aux projets intergénérationnels, s’ouvrant tout bonnement à la vie de la société. Les initiatives tournées vers la cité, vers les proches se multipliaient mais sont pour une grande partie aujourd’hui à l’arrêt. Et si les restrictions sont compréhensibles, malheureusement elles semblent durer, s’installer dans une protection sanitaire qui s’éternise, rentre dans le quotidien. Dans ce contexte, quand réévalue-t-on les mesures exceptionnelles prises il y a un an ? Une grande responsabilité pèse sur les épaules des directeurs mais il est nécessaire de réamorcer un questionnement, de s’interroger de nouveau sur ce qui est nécessaire pour les résidents et de remettre au centre des réflexions, la balance bénéfice/risque, souvent centrale dans les décisions médicales, mais plus que jamais nécessaire dans l’accompagnement humain de nos aînés. Est-ce que la règle ne devrait pas être la réflexion au cas par cas ?

Retour sur des groupes de paroles avec des résidents

Les principaux sujets de ces groupes de paroles furent centrés sur des demandes simples mais essentielles. Au cours des échanges sur leurs ressentis actuels, les résidents évoquent la sensation d’isolement, d’enfermement. Ils souhaitent le contact avec les proches, pouvoir les recevoir dans leur chambre comme chez soi, mais aussi la sortie au marché ou au café, la venue de l’accordéoniste, une ballade dans les bois, une partie de boules au boulodrome de la ville, simplement un repas en commun et pas seul dans sa chambre devant son plateau.

Toutes ses petites choses sont aujourd’hui compromises, certes la contraintes sanitaire est bien présente mais ne devons-nous pas essayer de trouver le meilleur compromis et tout au moins garder une logique de réflexion ? Ne laissons pas s’ancrer des mesures restrictives de liberté, sans se faire un devoir et une priorité de les réévaluer autant que nécessaire afin que l’exception d’une mesure prise dans un besoin de protection ne devienne pas la norme.