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Distance ou proximité ?
  • Michel BILLÉ Sociologue, Président de l’UNIORPA, membre du Conseil scientifique Sciences Humaines de France Alzheimer, Président du comité éthique et scientifique de ReSanté-Vous
Posté le 13 avril 2021 dans Dossiers

La question peut paraître simpliste ! Depuis des années, la proximité est à la mode : partout on en chante les louanges, elle est censée permettre de voir la réalité, de partager et comprendre ce que vivent nos contemporains, de s’immerger dans ce qu’ils vivent, de se situer au plus près de la population, etc. La proximité fait partie des éléments de langage que les communicants glissent immanquablement dans les discours des politiques, quelles que soient leurs appartenances. Imaginez un instant un politique qui se présenterait en disant qu’il ferait son possible pour se « tenir éloigné, à distance de ses électeurs » !

Depuis longtemps les psychiatres ou psychanalystes nous alertaient, à juste titre sans doute, sur la « bonne distance » à respecter dans la relation éducative ou de soin, parce que le manque de distance, l’excès de proximité, risquait de laisser le champ libre à une relation fusionnelle potentiellement très délétère. Bonne distance ou juste proximité ?

Élément nouveau : la crise que nous traversons depuis un an avec la pandémie Covid vient, en quelques sortes, de révéler les vertus de la distance… « Quand on se sent proche on ne s’approche pas » dit le slogan de prévention. Nouveauté : se tenir à distance est désormais devenu signe de protection et par conséquent de bienveillance vis à vis d’autrui.

Les relations familiales, intergénérationnelles sont directement visées par cette injonction à garder la distance qui vise notamment les plus âgés mais celle-ci s’applique désormais partout : au travail, à l’école, à l’université, dans les espaces publics, culturels, de loisirs, de pratiques sportives, etc.

Les soins n’échappent pas à la recommandation, d’autant que la technologie ayant évolué, elle permet désormais que la distance s’insinue jusque dans la relation de soin, entre le malade et le médecin, grâce à une formidable « télémédecine » qui n’attendait que cela pour se développer de façon parfaitement débridée.

Évidemment quelques vieux esprits retords, ici et là, craignent que la distance desserve celles et ceux qui ont le plus besoin de contact, de relation incarnée et qui auront du mal à trouver leur compte dans cette nouvelle forme de pratique médicale.

Qu’à cela ne tienne : voici désormais la « télémédecine de proximité » ! La distance au service de la proximité ! Il ne manquait pour qu’opère la magie qu’un mot parfaitement magique, justement : le territoire !

Il est formidable le territoire : il est, selon la guise, défini ou indéfini, limité ou illimité, qualifiable de toutes les manières ! On l’a vu « apprenant », « inclusif », territoire de « progrès », territoire « de soin ou de santé », « territoire administratif, de production, industriel ». Il est forcément territoire « rural ou urbain, périurbain »… Il peut-être « abandonné ou privilégié », le territoire est partout, même les prévisions météo s’énoncent désormais en fonction des territoires ! Mais partout les territoires s’affichent comme étant de proximité ! « Territoires de proximité » sur lesquels un projet de territoire vient évidemment permettre le parcours des personnes en s’appuyant sur les acteurs du « réseau de proximité »… Insaisissable territoire !

Plus personne ne sait de quoi l’on parle ? Ce n’est pas grave, le « gestionnaire du guichet unique de proximité » vous l’expliquera « en distanciel » évidemment…